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Ainsi, c’est la durée qui se convertirait, dans certains cas, en étendue ; c’est de la perception du devenir que naîtraient l’idée de la ligne droite, de la surface, de la profondeur ou distance. Mais comment savoir par la sensation musculaire qu’une direction suivie est longitudinale, et, bien plus, quelle chose c’est que la direction ? L’effort musculaire n’a jamais lieu sciemment, sans que l’imagination d’un certain déplacement de et vers quelque lieu le prépare d’une manière plus ou moins obscure, s’apprête à le diriger et lui donne d’avance la signification qu’il peut avoir. Qu’on prétende que les efforts nous informent de l’étendue, soit 1 mais ce qui nous en informe ne saurait être l’étendue elle-même. Stuart Mill dit que l’idée de corps étendu est l’idée d’une variété de points résistants existant simultanément, mais qui ne peuvent être perçus que successivement et qu’on regarde comme situés à des distances différentes parce que la série des sensations musculaires est plus longue dans certains cas que dans d’autres. M. Renouvier répond : si l’idée de l’étendue est cela, il est clair, par définition, qu’elle renferme l’idée de points avec l’idée d’une situation relative de points, laquelle est logiquement inséparable de la première. Ainsi l’étendue est définie par l’étendue et n’est nullement déduite. Si, au contraire, on n’entend par le mot points que des sensations de résistance non localisées (non localisées, il le faut pour ne pas présupposer l’étendue) ; si l’existence simultanée est réduite à l’existence successive ; si les sensations musculaires qui constituent les distances ne les constituent qu’en unités de temps, on doit avouer de deux choses l’une, ou que les sensations renferment quelque chose de plus que les sensations mêmes, ou que les distances et les directions sont, au fond, quelque chose de moins que des distances et des directions. Qui ne voit que l’école anglaise est dans l’impossibilité de tirer des sensations un parti quelconque à moins d’ajouter à leurs qualités spécifiques une forme commune, essentielle à la représentation et qui est ici l’étendue ? Le vice de la méthode empirique se résume dans la négation des catégories, dans celle des jugements synthétiques aprioriques, et dans l’opinion que l’expérience pure enferme l’origine des lois ou formes générales qui l’embrassent elle-même[1].

Cette insurmontable difficulté a, du reste, frappé Stuart Mill qui reconnaît que si les sensations peuvent se présenter dans deux modes il n’en faut pas moins supposer que l’esprit est capable de distinguer ces modes[2]. L’aveu est à retenir. Le même auteur est plus hésitant

  1. Log. gén., I, 333 à 338.
  2. Stuart Mill. La philosophie de Hamilton, traduction de M. Cazelles, page 241.