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beurier. — philosophie de m. renouvier


VI

Le transformisme et l’évolution. — Discussion contre les philosophes anglais.

La science a d’infranchissables bornes ; mais dans le domaine indéfini, sinon infini, où ses méthodes reçoivent une légitime application ne peut-elle pas ramener à l’unité les faits que lui fournit l’expérience ? Ceci est une autre face du problème, ou, pour mieux dire, c’est un problème nouveau : c’est le problème de l’identification universelle de la diversité phénoménale.

De tout temps, il y a eu des philosophes et des savants possédés du désir de ramener les lois les plus différentes à une seule loi engendrée elle-même, d’assimilation en assimilation, par un seul et même phénomène générateur, dans lequel tout s’identifie, choses et lois. Jamais cette tendance n’a été plus forte que de nos jours, particulièrement en Angleterre. Il faut remonter jusqu’aux origines de la philosophie européenne, jusqu’aux spéculations hasardeuses autant que hardies des Thalès, des Anaximandre et des Anaximène, pour trouver une image et une image affaiblie du mouvement qui entraîne les physiciens, les naturalistes et les psychologues d’outre-Manche à la conception d’une vaste unité, indéfiniment évoluante et transformable, au sein de laquelle tout se fond ou se confond. Les Ioniens n’étaient que des enfants à côté de Darwin, de Spencer, d’Alexandre Bain ; ils n’avaient pas à leur service les arguments tirés de la corrélation des forces physiques, de la sélection naturelle, de la variabilité des espèces, enfin et surtout de la grande loi de l’association des idées, combinée avec l’habitude et l’hérédité ; leurs systèmes cosmologiques restaient forcément très-incomplets. Il semble aujourd’hui, au contraire, que le transformisme et l’évolutionisme s’appuient sur les plus récentes et sur les plus incontestables découvertes de la science et défient toute objection, au moins en thèse générale.

M. Renouvier a une autre manière de voir : il croit à la distinction originelle des êtres et des lois, et, selon lui, il n’y a rien de plus illogique que de vouloir tout simplifier et tout unifier soit dans l’esprit, soit dans la nature. Il se pose donc en adversaire résolu de la philosophie anglaise, philosophie essentiellement « anti-catégoriste, » dont la prétention est d’expliquer tout par la seule association des sensations, celles-ci résultant elles-mêmes des faits biologiques, qui de leur côté seraient le prolongement des phénomènes physico-chimiques et par suite rentreraient dans la pure mécanique. Dans cette