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opposer mais qui n’oppose pas les catégories à elles-mêmes. Rien n’empêche d’admettre un monde borné dans toutes les directions. L’expérience n’a aucune objection à élever contre cette théorie : son théâtre, en effet, est le contenu du monde, mais le monde la surpasse ; elle a le monde pour borne et il serait contradictoire qu’elle l’enveloppât, tandis qu’au-delà de toute expérience possible il n’est pas contradictoire que quelque chose, une donnée première, une synthèse totale, soient[1]. C’est M. Renouvier qui parle : pour moi, j’ai déjà dit que l’hypothèse de la régression à l’infini ne me paraît avoir rien d’irrationnel dans le criticisme, et que par suite elle peut se concilier avec l’usage illimité des catégories, ce qui permettrait à la « logique générale » d’être d’accord avec « les suggestions de l’expérience. » Je me borne ici à rappeler la critique que j’ai faite précédemment à l’auteur des Essais, sur ce point important[2].

Au surplus, qu’on soit pour ou contre l’absence de limites, la synthèse totale est impossible dans les deux cas. On pourrait croire que la théorie de M. Renouvier la rend plus facile : il n’en est rien. Le monde passé ou présent forme un nombre et est un tout, mais un tout qui, ne pouvant entrer dans les termes d’aucun rapport, reste inassignable et ne tombe, comme tel, sous l’application d’aucune catégorie. Puisque nous ne connaissons rien que relativement, que par relation, l’unique énoncé du problème est : par rapport à quoi quelque chose est général ? Or, ce problème n’admet de réponse possible que tirée des relations internes des phénomènes une fois posés. « Les rapports sont entre les choses données, sont ces choses mêmes, eu égard au connaître, et ne les définissent que les unes par les autres. Les conditions générales de lieu, temps, devenir, cause et fin qui porteraient sur l’ensemble des fonctions du tout-être, ne doivent donc pas même être demandées[3]. » Ajoutons que la considération des possibles de tout genre est un dernier et insurmontable obstacle à la constitution de la synthèse totale, parce que la connaissance actuelle de tous les possibles, qui sont numériquement infinis, ou doit être refusée à la conscience, et alors celle-ci cesse d’envelopper le monde ; ou doit lui être accordée, et on tombe dans la contradiction de l’infini actuel[4]. M. Renouvier a consacré tout le troisième volume de sa Logique générale à démontrer que la connaissance est forcément bornée, sous quelque catégorie qu’on envisage les choses. Cette longue discussion est en même temps une revue rapide de tous les ordres de phénomènes et de leurs lois abstraites.

  1. Log. gén., III, 21.
  2. Voir le dernier numéro de la Revue philosophique, p. 343.
  3. Log. gén., III, 243.
  4. Id., 289.