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gérard. — philosophie de voltaire

et l’immortalité que pour y voir un beau risque à courir. Aussi bien, il ne croyait pas avoir à prendre parti en ces matières. En morale, comme en physique, il suit un peu le mode d’Épicure : le résultat, la fin seule l’intéresse. Et quelle autre fin souhaitait-il que de substituer, dans la pensée et dans la vie des hommes, le souci de la morale à tout le reste, à la domination de la théologie, à la vaine curiosité, à toutes les intolérances ? Aux indiscrets qui lui eussent répliqué : quelle morale ? je ne sais s’il eût pris garde de la définir. Il eût répondu : la morale de tous les temps. Et il eût fait défiler, comme dans ses dialogues et ses entretiens, les moralistes depuis Confucius jusqu’à Bolingbroke. Ou peut-être se fût-il contenté, avec Shaftesbury[1], son guide en de telles questions, de dire qu’il y a un instinct, un sens moral, comme il y a un sens de la vue, un sens du goût, un sens de la beauté, sens infaillible et immédiat. En sorte que toute la philosophie de Voltaire se réduit à la morale, qui, elle-même, à son gré, est un instinct. Il n’y a partout chez lui qu’une croyance, un sentiment : il rapporte tout, non à la pensée, mais à la vie. — Dans ses « Conférences » sur Voltaire, Strauss n’a qu’effleuré cette partie du sujet. Quelques années plus tard, dans son livre l’Ancienne et la Nouvelle Foi, il a abordé lui-même, en novateur, l’étude des idées morales. Il a, plus nettement que Voltaire à coup sûr, défini les termes dont il se sert, établi les principes sur lesquels il se fonde. Sur le caractère de l’obligation, sur la sanction qui la garantit, sur le divin, sur le rapport entre la nature et la destinée, il est précis et profond. Il a marqué avec force comment il se sépare des théoriciens qui placent, hors de la nature humaine, « l’origine de l’obligation, hors du monde la sanction. » Il a tracé, non sans hardiesse, les préliminaires de la morale naturaliste. Puis, il s’est arrêté ; à mesure qu’il essayait d’entrer dans les détails, et de régler la conduite d’après sa dernière croyance, la tentative apparaissait plus chimérique et plus vaine. Strauss traitait la morale comme une théorie. Voltaire, dont la doctrine a été moins exacte, moins distincte. Voltaire a eu, pour tout racheter, le sens de la pratique et de la vie. C’est ce que ses critiques, en Allemagne, n’avaient pas : et, par suite, il n’a pu se révéler à eux tout entier.

À la fin du livre consacré à Voltaire, Strauss s’interroge sur le caractère, sur la nature de son héros-, et voudrait porter un jugement. Il est curieux d’observer ses hésitations, ses tâtonnements, et parfois presque la terreur qu’il éprouve :

« Mon génie étonné tremble devant le sien, »

  1. C’est Lange qui a le plus remarqué l’influence de Shaftesbury sur Voltaire.