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p.janet. — qu’est-ce que l’idéalisme ?

complète en elle-même, admet par participation des consciences subordonnées. Mais sous toutes ces formes, à tous ces degrés, tant que vous ne considérez que la chose pensante, c’est-à-dire l’esprit, je ne puis voir rien autre chose que le spiritualisme, et non l’idéalisme. En effet, dans tous ces systèmes, j’admets quelque chose de réel en dehors de mes idées, à savoir les autres esprits plus ou moins semblables au mien ; et quand même je nierais l’existence de la matière comme telle, par cela seul que j’admets quelque existence objective, soit des autres hommes, soit des animaux, soit de Dieu, mon système peut être appelé immatérialisme, si l’on veut ; mais c’est un immatérialisme objectiviste ou réaliste, non idéaliste.

Mais, dira-t-on, le réalisme consiste à admettre la réalité d’une substance, c’est-à-dire d’une chose effective, concrète, massive, que l’on considère comme un bloc servant de support aux phénomènes ; et l’idéalisme consiste à nier cette réalité. C’est encore une confusion de mots. En français, le mot chose a deux sens différents. Il peut signifier en effet substance dans le sens scolastique, c’est-à-dire le support ou substratum des phénomènes : c’est une question de savoir s’il y a de tels supports. Mais le mot chose peut aussi être employé dans le sens neutre, comme le τι du grec, l’etwas des Allemands, et il signifie alors tout simplement le quelque chose. Quand je dis que l’esprit est une chose pensante, je dis qu’il est un τι cogitans, un etwas cogitans ; en un mot, il est ce qui pense, quelle que soit la nature de cette chose : si vous ne voulez pas qu’il soit une substance spirituelle, à plus forte raison ne sera-t-il pas une substance matérielle, puisque vous niez la matière : or un quelque chose qui pense, et qui n’est pas matière, je l’appelle esprit : une doctrine qui n’admet d’autre existence que celle-là, ne peut être appelée encore une fois que spiritualiste, et en tant qu’elle admet des esprits objectifs ou réels autres que le mien, elle est, encore une fois, objectiviste ou réaliste en cela.

Voilà pour ce qui concerne la première forme de l’idéalisme, celui qui ramènerait tout à la chose pensante. Voyons ce qui arriverait de celui qui réduirait tout à la chose pensée ? Ne serait-ce pas là pour le coup un vrai idéalisme ?

Je le veux bien ; mais regardons-y de plus près. Vous composez tout de choses pensées, c’est-à-dire d’idées : les choses n’existent qu’à la condition d’être pensées, et en tant qu’elles sont pensées, soit : mais je demande de nouveau : pensées par qui ? Par moi sans doute, cela n’est pas douteux ; mais est-ce par moi tout seul ? Je suis donc seul au monde ? Un tel système, que l’on a appelé l’égoïsme métaphysique, a-t-il jamais été soutenu par aucun philo-