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rapprochant l’art et la foi, le profane et le sacré, il s’est montré tout ensemble psychologue et moraliste. Or, si les théologiens passent, les moralistes restent. Il y a, dans le livre de Matthew Arnold, assez de vérité humaine[1], pour qu’il dure.

A. Gérard.

Jules Gérard. — Maine de Biran, Essai sur sa philosophie, suivi de fragments inédits, 1 vol. in-8 de 622 p. Paris, Germer Daillière, 1876.

En 1834 M. Cousin disait de Maine de Biran : « c’est le premier métaphysicien de mon temps ; » vingt ans plus tard, dans des articles restés célèbres, M. Taine soutenait que Maine de Biran est un auteur inintelligible dont toute la philosophie traduite en français se réduit soit à des erreurs soit à des banalités. Entre ces deux jugements extrêmes chacun s’est fait une opinion moyenne, les uns plus près de M. Cousin, les autres plus près de M. Taine, chacun suivant son goût ; très-peu, je crois, après une étude attentive des huit volumes d’œuvres de Maine de Biran qu’ont publiés successivement M. Cousin et M. Naville.

M. Gérard a cru que le temps était venu d’examiner à fond, d’exposer dans son ensemble, de juger équitablement une doctrine si diversement appréciée. Il a mis plus de dix ans à traiter son sujet. Son ouvrage est un de ces livres lentement médités, faits, défaits et refaits avec un amour, avec une conscience, avec une constance vraiment dignes d’estime, j’oserais presque dire d’admiration. Quelques personnes trouveront peut-être que c’est trop de dix ans pour l’étude d’un système particulier, fût-ce celui de Maine de Biran, que mieux valait consacrer tant d’efforts, d’esprit et de patience à l’examen de quelque grande question dogmatique et que d’ailleurs les vrais philosophes aimeront toujours mieux connaître Maine de Biran par ses livres que par le livre d’un autre. Pour moi, je ne suis pas de ceux qui reconnaissent à la critique le droit de demander à un auteur compte du sujet qu’il a choisi ; d’ailleurs le travail de M. Gérard n’est pas seulement une œuvre d’histoire ni même de critique, il contient une foule de vues neuves, d’aperçus ingénieux ; l’expression sans doute en est toujours réservée, discrète, contenue, mais il me semble qu’un auteur est toujours maître d’adresser son livre à ceux qu’il lui plaît de choisir ; M. Gérard écrit pour ceux qui savent lire.

Il y a des philosophes, qui n’ont pas le sens de la tradition, qui n’ont le souci ni de réfuter ni d’adopter, ni même de connaître les doctrines

  1. Sur ce qu’il y a de véritablement humain dans l’homme, sur ce que Sainte-Beuve appelait le Montaigne caché en chacun de nous, voir (p. 343-345) le passage consacré à la France et à Paris. « La France, c’est l’homme sensuel moyen ; Paris est sa ville. »