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passait en l’homme même, de juive elle devenait universelle, de privilégiée commune. La justice devenait la religion de l’humanité. Avec la méthode de Jésus, c’est-à-dire la circoncision intérieure, l’examen de conscience, avec son secret, c’est-à-dire l’humilité, l’esprit de paix, avec la douceur qui fut l’âme de son enseignement, et la grâce de sa vie naissait le cristianisme. Mais ici, comme au temps de l’ancienne loi, reparut l’ultra-cyroyance, la superstition. À mesure que se perdait le souvenir de la présence réelle du Christ, la légende, l’interprétation défiguraient son œuvre. Au lieu d’apprendre à le connaître dans l’Évangile, une foi aveugle le cherchait dans la prophétie, dans le miracle, puis dans le symbole, l’allégorie, la métaphysique. De longs siècles, vécurent non dans la foi, mais dans la superstition de Jésus. Dès le jour où se fonda l’Église, apparurent les deux tendances[1] qui, plus tard, à la réforme, au concile de Trente, devaient se séparer violemment : l’esprit protestant qui exclusivement attentif à la méthode de Jésus, exagéra l’examen de conscience, jusqu’à en faire la question, la torture de conscience, et avec elle éclatait le fanatisme des sectes ; l’esprit catholique qui se reposant uniquement sur le secret de Jésus ne connut que la prière, que le ravissement, et presque la sensualité de la croyance. Dans l’un et l’autre cas, la véritable religion, qui est justice, s’était effacée. Pour la raviver, pour en retrouver l’inspiration nette et profonde, il ne suffit pas, comme l’avait essayé Luther, de revenir à la source, à l’original, à la Bible. Il faut encore y revenir avec certaines dispositions ; il faut lire l’Écriture, non, comme Luther ou Calvin, avec les yeux du croyant, trop prévenu, qui ne cherche dans le livre saint que la confirmation de ses dogmes, mais en humaniste qui sait la langue, qui a réfléchi sur la nature de l’esprit juif, qui enfin n’oublie pas ce qu’il y a de relatif, de passager même dans l’expression donnée à l'Éternel. Et alors la révélation juive et chrétienne apparaît ce qu’elle est : l’idéal de justice clairement aperçu et traduit en un langage sublime qui seulement veut et exige une interprétation fidèle. Or cette fidélité est affaire de littérature et de science. Ce qui équivaut à dire que seules, la littérature et la science donnent accès à la véritable Bible. « Qui concevrait une littérature sans Christ ? disait jadis Érasme[2], Quis concipiat litteras a Christo aliénas ? » Ne faut-il pas ajouter maintenant, que sans littérature, il n’y a plus ni Bible, ni évangile, ni Christ ?

Nul, certes, ne contestera l’originalité de telles vues, et l’ouvrage d’Arnold est assurément l’un des plus hardis, des plus séduisants, qu’ait inspirés la lecture de la Bible. Rarement penseur fit preuve de plus de pénétration à poser l’un en face de l’autre le profane et le sacré, et j’ajoute que seul, un psychologue raffiné pouvait ainsi rapprocher jusqu’à les confondre l’art, qui est nature, et la foi, qui est réputée être la grâce. L’orthodoxie anglaise, et, à plus forte raison encore les sectes se

  1. Il y a dans le livre d’Arnold, sur cette comparaison du protestantisme et du catholisme, quelques pages suggestives. »
  2. Érasme. Enarr. Psalm. 1.