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naville. — hypothèses sérieuses

Galilée. M. Auguste De la Rive enfin m’a affirmé positivement, mais je ne connais pas le texte, que Roger Bacon a constaté le phénomène des interférences, l’une des bases de la théorie des ondulations lumineuses, dont la démonstration devait se faire attendre pendant six siècles.

Il résulte des considérations précédentes qu’il peut exister dans nos bibliothèques les affirmations de vérités généralement ignorées parce qu’elles ont traversé la pensée d’un homme de génie, avant l’époque où elles pouvaient être solidement établies. Ce fait peut se réaliser, même dans les sciences mathématiques, s’il est exact, comme on l’a affirmé, qu’une lecture attentive des textes de Pascal aurait pu y faire découvrir, avant l’époque de Newton, le théorème du binôme[1]. Les physiciens et les naturalistes ont raison sans doute de consacrer la plus grande partie de leur temps à l’observation des phénomènes, mais la lecture des anciens auteurs peut devenir pour eux l’origine de découvertes qui ne se seraient pas présentées autrement à leur esprit. Je ne saurais donc souscrire à ces paroles de M. Claude Bernard : « La science qui représente ce que l’homme a appris, est essentiellement mobile dans son expression ; elle varie et se perfectionne à mesure que les connaissances acquises augmentent. La science du présent est donc nécessairement au-dessus de celle du passé, et il n’y a aucune espèce de raison d’aller chercher un accroissement de la science moderne dans les connaissances des anciens. Leurs théories nécessairement fausses, puisqu’elles ne renferment pas les faits découverts depuis, ne sauraient avoir aucun profit réel pour les sciences actuelles. Toute science expérimentale ne peut donc faire des progrès qu’en avançant et en poursuivant son œuvre dans l’avenir. Ce serait absurde de croire qu’on doit aller la chercher dans l’étude des livres que nous a légués le passé[2]. »

Il est surprenant qu’un esprit aussi lucide, après avoir signalé avec force, comme il l’a fait souvent, la nature individuelle du génie et le caractère spontané de l’hypothèse, ait prononcé une proscription aussi absolue contre la recherche de la vérité dans l’œuvre des anciens savants. Si Kopernik s’était conformé à cette manière de voir, la théorie du mouvement de la terre aurait peut-être été retardée fort longtemps, et il n’est nullement certain que Fresnel eût

    minutissimas, et numeraremus res quantumcumque parvas, et stellas faceremus apparere quo vellemus.

  1. Voir un article de M. Bourgoin, dans la Revue scientifique du 7 novembre 1874.
  2. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Partie II, chapitre II, § 10.