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lewes. — marche de la pensée moderne

étudions et exprimer chacun dans les termes qui lui appartiennent. Voilà ce qu’on néglige constamment. Rien n’est plus commun, par exemple, que des phrases de ce genre-ci : « Une impression sensorielle est transmise au cerveau sous forme de mouvement vibratoire, et étant transformée là en un état conscient, elle devient par l’action réflexe une impulsion motrice. »

Les différentes sciences ayant obtenu certains résultats analytiques, la mission de la philosophie est de coordonner ces derniers en une doctrine qui fournisse des conceptions générales du monde, de l’homme et de la société. Quand même une théorie mécanique serait parfaite dans sa partie analytique, elle n’en resterait pas moins uniquement une théorie mécanique, et il faudrait exprimer toutes les autres relations en d’autres termes. C’est pourquoi nous ne pouvons pas accepter la formule de Descartes :. « La nature est un vaste mécanisme, la science une mathématique universelle. » Quelque valeur que l’équation d’une sphère ait au point de vue géométrique, elle n’est d’aucune utilité pour expliquer la nature et les propriétés du corps sphérique sous d’autres rapports. De même, quelque valeur que puisse avoir en elle-même une théorie complète des relations mécaniques de l’organisme, elle ne servirait de rien pour résoudre un problème biologique, à moins qu’on n’y ajoute tout ce que les termes de mécanique sont incapables d’exprimer.

La marche de la spéculation biologique a été semblable à celle de la spéculation cosmologique. Elle a aussi commencé par une notion première résumant les faits de l’expérience. D’ailleurs, il est impossible d’adopter définitivement aucune conception théorique entraînant la suppression de ces faits, dont la connaissance est positivement certaine et qui sont exprimés vulgairement dans cette phrase : « j’ai un corps et une âme ». Nous pouvons changer la phrase et dire ou bien : « je suis un corps et je suis une âme ; » ou bien : « mon corps est seulement la manifestation de mon âme » ; ou enfin : « mon âme est seulement une fonction de mon corps ; » mais les expériences fondamentales qui sont ainsi exprimées ont une autorité absolue, quelle que soit la façon dont on les interprète. Aucun argument spéculatif ne peut anéantir le fait que j’ai un corps ou que je suis un corps. Il est hors de doute que je meus le bras pour frapper l’homme qui m’a offensé ou que j’étends la main pour saisir le fruit que je vois ; il est également hors de doute que ces mouvements sont déterminés par ces sentiments et ne sont jamais effectués sans cette cause déterminante. Voilà deux séries de phénomènes, ayant des différences d’aspect nettement caractérisées, et elles sont respectivement groupées sous deux rubriques générales : la vie et