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LA MARCHE DE LA PENSÉE MODERNE
EN PHILOSOPHIE[1]



La philosophie moderne a suivi deux routes dont la divergence a toujours été en augmentant. L’une, parcourue par Galilée, Descartes, Newton, et Laplace, avait pour but la séparation absolue du physique et de l’intellectuel, c’est-à-dire de l’aspect objectif et de l’aspect subjectif des phénomènes, de sorte que le monde physique, débarrassé ainsi de toutes les questions complexes de la sensation, pût être expliqué en termes de mécanique. Comme simplification préliminaire du problème, cette méthode était indispensable ; elle seule a pu substituer à la notion première de la spéculation primitive la conception théorique de la spéculation scientifique[2]. Le penseur des premiers âges investit nécessairement tous les objets extérieurs de propriétés et de qualités semblables à celles qu’il attribuait aux êtres humains et il assigna à leurs actions des motifs humains. Le soleil, la lune et les étoiles lui apparaissaient comme des êtres vivants ; les flammes, les cours d’eau et les vents étaient supposés mis en mouvement par des sensations identiques à celles que l’on savait faire mouvoir les hommes et les animaux. Toute autre conception était impossible à cette époque : on pouvait seulement expliquer l’inconnu par le connu, et le type de toute action était nécessairement emprunté aux actions humaines. Gomme on n’avait analysé ni la volition ni l’émotion, et surtout comme on n’avait pas localisé ces dernières dans un système névroso-musculaire, on ne pouvait pas soupçonner que les mouvements des planètes et des plantes, des torrents et des pierres eussent d’autres moteurs que les mouvements des animaux. G’est seulement par une longue habitude de l’abstraction que nous sommes arrivés à la conception scienti-

  1. Extrait d’un volume sous presse : La base physique de l’esprit.
  2. Sur la distinction entre les notions premières et les conceptions théoriques, voyez : Problèmes de la vie et de l’esprit, vol. II, p. 251.