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beurier. — philosophie de m. renouvier

l’inconditionné, nous portent à rechercher un enchaînement total cosmologique, psychologique et théologique des phénomènes. Les formes de la sensibilité et les catégories de l’entendement sont les principes de toute connaissance et de toute réalité : les idées de la raison sont seulement des lois régulatrices de la pensée. Ces trois facultés correspondent à la sensation représentative, au jugement et à la généralisation.

M. Renouvier juge sévèrement cette théorie, tout en déclarant qu’elle a été inspirée par une idée de génie. D’abord il repousse le principe même de la division des lois de la pensée en trois classes : les formes de la sensibilité, dit-il, partagent avec les catégories la propriété de se poser en enveloppant par anticipation le domaine de l’expérience possible. D’ailleurs, le caractère intuitif que la connaissance revêt par rapport aux objets sensibles n’introduit pas plus de différence entre l’étendue et la durée, d’une part, et toutes les autres notions, d’autre part, qu’il n’y en a, par exemple, entre un nombre et une quantité. Chaque catégorie a sa forme propre et irréductible, et c’est cela même, c’est cette propriété qui fait une catégorie. L’entendement, à son tour, ne se sépare pas de la sensibilité, car les phénomènes sentis ne sont pas sans activité dans la connaissance, ni les phénomènes pensés ne sont sans passivité. Mais ce qui est surtout arbitraire, nouveau et injustifiable, ce qui ne sert qu’à diviser la pensée contre elle-même, c’est d’imaginer, sous le nom de raison, une faculté de l’absolu, de la substance, qui ne diffère pas seulement de l’entendement, mais qui, bien plus, en est la négation[1].

Hamilton avait déjà dit : « Pourquoi ne pas regarder le conditionnel comme la seule forme de la pensée ? Pourquoi distinguer la raison (vernunft) et l’entendement (verstand), par ce seul motif que la première a pour objet ou plutôt pour tendance l’inconditionnel, quand d’ailleurs il est suffisamment prouvé que l’inconditionnel n’est conçu que comme la négation du conditionnel, et que la conception des contraires est une ? Dans la philosophie kantienne, deux facultés sont chargées de la même fonction. Toutes deux cherchent l’unité dans la pluralité. L’idée (idea) n’est que la conception (hegriff) élevée jusqu’à l’inconcevable, la raison n’est que l’entendement qui se surpasse lui-même[2]. »

L’auteur des Essais fait d’autres reproches à Kant : s’il le loue d’avoir mis en lumière la forme ternaire de la connaissance, il estime qu’il a abusé des divisions factices, cause principale de la

  1. Logique générale. I, 209, dq. ; III, 10.
  2. Fragments d’Hamilton, trad. par L. Prisse, p. 23.