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cherché à déterminer plus exactement tout ce que le criticisme peut emprunter aux autres philosophies et s’assimiler. Mais encore une fois, quand il critique autrui, c’est d’ordinaire, pour exposer son propre système dans ce qu’il a de distinctif, de propre et d’original. Il croit qu’une doctrine nouvelle exige sans cesse de tels éclaircissements. Le plus souvent, il est vrai, c’est là une tâche qui incombe aux disciples et aux « vulgarisateurs » : M. Renouvier a voulu se « vulgariser » lui-même : il tient moins à entrer dans de nouveaux développements doctrinaires qu’à préciser et qu’à défendre les principes du criticisme tel qu’il l’entend.

On comprend dès lors que sa polémique s’exerce plus particulièrement dans un sens destructif et qu’elle cherche à montrer plutôt la faiblesse que la force des systèmes anciens et modernes. C’est ainsi que nous le voyons renvoyer dos à dos, au moins au sens vulgaire de ces mots, le théisme et l’athéisme, le matérialisme et le spiritualisme, le réalisme de la substance et le phénoménisme, le rationalisme et l’empirisme, le déterminisme et l’indifférentisme, le dogmatisme et le scepticisme. Une fois tous ces systèmes jetés à terre, n’allez pas vous imaginer que pour l’auteur tout est vrai et faux en même temps, que tout est pour lui illusion, mirage et tromperie. Vous vous tromperiez fort : on pourrait croire tout d’abord que c’est un nihiliste : mais bientôt il se déclarera un « cause finalier » déterminé, un partisan convaincu de l’immortalité de l’âme, bien mieux un polythéiste. Sans doute longtemps avant M. Renan il a distingué les croyances du premier, du second et du troisième degré. Il n’importe, il est assez curieux de voir comment le criticisme, sous sa forme la plus radicale, a pu se marier avec la vieille foi à la pluralité des dieux.


Tout se tient dans un système et les coupures qu’exigent les nécessités de l’analyse sont toujours plus ou moins arbitraires. Les deux premiers essais contiennent, surtout dans la seconde édition revue et amplifiée, toute la philosophie générale, toute la philosophie théorique de l’auteur. On peut et doit y joindre le troisième essai qui n’est guère qu’un appendice de la Psychologie rationelle : il ne s’y agit en effet que des probabilités dans l’ordre cosmique et tout s’y ramène encore au problème fondamental de la certitude. Le quatrième essai, au contraire, peut être considéré comme une introduction à la Science de la morale dont l’Uchronie est une sorte de complément. Je diviserais donc volontiers en deux groupes les ouvrages de M. Renouvier selon qu’ils ont plus de rapports avec la critique de la raison pure ou avec celle de la raison pratique de Kant.