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d’ouverture à la Faculté des lettres de Montpellier[1] ont apprécié sommairement ses travaux avec une grande sympathie[2].

Le moment est venu, il me semble, de donner une exposition suffisamment complète, au moins pour l’ensemble, du nouveau criticisme, ou, comme M. Renouvier l’appelle lui-même, du « criticisme français[3]. » Cette tâche étant déjà assez lourde, je n’interromprai le cours de mon exposition que pour soumettre à l’auteur, s’il y a lieu, les demandes d’éclaircissement et les doutes que me suggéreront ses doctrines, considérées de son propre point de vue et en elles-mêmes. M. Renouvier a voulu être plus kantien que Kant, je m’efforcerai d’être plus « renouviériste » que M. Renouvier. Mes critiques seront donc purement « formelles. » Pour comprendre et rendre exactement la pensée d’un écrivain, le mieux n’est-il pas d’entrer et pour ainsi dire de s’installer dans son système ?

Quelque jugement qu’on soit amené à porter sur les principes fondamentaux et les conclusions dernières de l’auteur, il est incontestable que l’œuvre philosophique de ce robuste et puissant esprit est l’une des plus considérables et des plus originales qui aient été produites en France dans notre siècle. M. Renouvier, qui est né à Montpellier comme Auguste Comte, a passé aussi comme ce dernier par l’École Polytechnique. C’est par une méditation prolongée sur le sens et sur la justification rationnelle des méthodes transcendantes en géométrie qu’il s’est préparé à la spéculation philosophique[4] : l’idée « pivotale » de son système est la contradiction intrinsèque qu’il croit pouvoir établir, ainsi que nous le verrons plus loin, dans la notion de l’infini donné comme réel. Dès sa sortie de l’Ecole Polytechnique, 1836, il se voua exclusivement à la philosophie, et plus heureux que d’autres il put se donner tout entier à cette noble étude sans en être jamais détourné par les soins de l’enseignement. Aujourd’hui encore, plus infatigable et plus fécond que jamais, il consacre sa verte vieillesse à batailler contre le fatalisme des uns et l’empirisme évolutionniste des autres dans sa chère et charmante retraite de la Verdette près d’Avignon.

Il a commencé par s’exercer dans l’Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux et de Jean Reynaud, et dans la Revue philosophique et religieuse de MM. Ch. Fauvety et Lemonnier. En 1844, il publiait

  1. Revue politique et littéraire du 27 janvier 1877.
  2. On peut même dire avec une certaine générosité pour ce qui concerne M. Janet, qui avait été assez durement malmené dans la Critique philosophique.
  3. Psychologie rationnelle, III, 366.
  4. Logique générale, avant-propos, p. vii.