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fortement développé et que cet organisme à son tour suppose une matière réelle obéissant à des lois constantes de la nature, il ne peut pas s’empêcher de reconnaître que la constance absolue des lois de la nature ne permet nullement une résorption immédiate des individus d’un ordre plus ou moins élevé, qui ne peuvent plus servir au but du développement du Tout universel.

Une des conditions nécessaires à la constance des lois de la nature, c’est la constance des atomes matériels pendant la durée du processus universel ; et de la constance absolue des atomes qui constituent un organisme, ainsi que de la constance absolue des lois, d’après les quelles ils fonctionnent, résulte une constance relative de la constitution formelle de l’organisme et de son cerveau, pendant une longue période de la vie (depuis l’âge mûr jusqu’au commencement de la sénilité). Mais c’est précisément dans cette période de la vie que l’individu est appelé à prendre part au processus. Or, si son caractère, ses principes et ses idées ont été formés sous des influences qui, dans sa jeunesse, étaient conformes à la raison, son cerveau continuera de fonctionner pendant la seconde moitié de sa vie conformément à la constitution une fois acquise ; cependant il est possible qu’en ce moment les tendances, auxquelles il avait obéi autrefois, ne soient plus en rapport avec le progrès accompli. Toutefois, même ici, l’effet n’est pas absolument dénué de raison, mais c’est un effet négativement raisonnable qui sert de stimulant aux individus représentant la raison positive de la période. Ainsi l’état de dépendance où l’esprit et le caractère se trouvent par rapport au cerveau, et la constance relative du cerveau (particulièrement dans la deuxième partie de la vie individuelle) expliquent suffisamment pourquoi l’individu maintient une certaine indépendance vis-à-vis du processus.

À cela s’ajoute que la rationalité réelle de toute période historique n’existe pas déjà à l’état de repos, mais qu’elle se produit et se réalise dans le processus (par exemple, dans la lutte pour l’existence). Ce fait est en partie fondé sur des motifs pédagogiques, parce que l’obligation de la lutte et de la conquête du rationnel est seule capable d’amener les individus à aiguiser leur raison consciente et à perfectionner ainsi l’organisation du cerveau, en même temps que ses capacités. Un second motif de ce fait, c’est que le caractère borné des individus ne permet à chacun pris isolément qu’un développement plus ou moins unilatéral du rationnel, de sorte que la totalité de la rationalité de l’époque est seulement représentée par l’ensemble des nombreuses rationalités individuelles, qu’il ne faut pas entendre comme somme, mais comme pénétration réciproque,