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là le rapport transcendantal que Kant, d’accord avec l’instinct du sens commun, établit entre la perception et la réalité, et qu’il refuse aux fantaisies de l’imagination. Mais cet objet transcendant ne doit pas rester à l’état d’hypothèse indéterminée : il ne nous servirait à rien, si nous étions hors d’état de rattacher à la causalité transcendante de la chose en soi, la causalité immanente de nos représentations. Le monde immanent de nos représentations conscientes et le monde transcendant des choses en soi ne sont en rapport intime que dans les sensations. Or, la sensation, c’est l’enseignement constant de Kant, est une « affection » du sujet résultant de certaines impressions (Eindrücke). C’est de la nature de cette affection que dépend la matière variable de l’intuition sensible. Mais qui produit cette affection du sujet ? Evidemment, ce n’est pas la représentation sensible, qui, au contraire, suppose la sensation comme sa matière : ce ne peut être qu’une cause transcendante, qu’on la distingue du moi ou qu’on la confonde avec lui, comme Fichte dans sa théorie de l’Anstoss. — Kant l’appelle encore « la cause intelligible » par une malheureuse imitation de la terminologie leibnizienne, oubliant que le monde des idées ou le monde intelligible n’est pas le monde transcendant des choses en soi, et que le noumène, d’après sa propre affirmation, est un objet supérieur à la pensée, qui échappe aussi bien à la prise de l’entendement qu’à celle des sens, par conséquent un objet non-intelligible. — La 1re édition de la Critique de la raison pure n’est pas moins affirmative que la seconde, sur l’existence de la causalité transcendante. C’est à tort, selon M. de Hartmann, qu’on prétendu le contraire : selon lui, le réalisme s’accuse même dans la 1re édition en traits plus énergiques. Il cite à ce sujet un passage décisif de la réponse à Eberhard, qui parut trois ans après la 2e édition, et où Kant déclare hautement que la doctrine de l’existence des choses en soi a « toujours été l’affirmation constante de la critique. La critique se borne à placer ce fondement de la matière des représentations non dans les choses, en tant qu’objets de la représentation sensible, mais dans quelque chose de suprasensible, qui en est le principe, et que nous ne pouvons connaître d’aucune manière. La critique soutient que les objets, comme choses en soi, donnent la matière des intuitions sensibles…, mais sont bien distincts de cette matière elle-même. » — Demandons-nous maintenant s’il y a plus d’une cause transcendante de toutes les représentations, ou s’il n’y en a qu’une seule. Dans le second cas, la chose en soi et le moi en soi, c’est-à-dire l’objet et le sujet en soi seraient identiques. Cette hypothèse s’est présentée un moment à l’esprit de Kant lui-même ; et l’on sait que Fichte s’est chargé de la développer. Mais Kant, dans la 2e édition, avait supprimé cette hypothèse téméraire, revenant à la doctrine qu’il exposait dès 1755 dans sa thèse inaugurale : « plura extra animam adesse necesse est, quibus mutuo nexu complexa sit. » — Il réfutait ainsi et la causalité unique du moi transcendant de Fichte, et celle de la volonté divine chez Berkeley. Ce dernier même est obligé, pour établir l’action