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route, chaque point lui promet un triomphe…[1] » — Puis, reprenant la parole, M. Kuno Fischer conclut ainsi : « Considère-t-on Bacon comme investigateur de la nature, ce qu’il n’était pas, alors, en effet, il n’est à comparer avec aucun des grands observateurs de la nature de son temps. Le considère-t-on comme philosophe ayant tracé en général la direction de l’esprit quant aux sciences naturelles,… alors personne ne lui est comparable[2]. »

Entre ces appréciations les nuances sont imperceptibles, et l’accord au contraire est frappant. Cet accord prouve que, sur la part qui revient à Bacon dans l’établissement de la philosophie naturelle, et dans la détermination de la méthode de cette science, la lumière est faite et le débat épuisé. C’est justement pour avoir le droit de ne point rentrer dans cette discussion que j’ai recueilli et groupé les jugements qu’on vient de lire.

Mais cette question, toute résolue qu’elle soit, en laisse subsister une autre. Bacon ne s’était pas proposé de réformer seulement la physique. Son grand dessein embrassait la rénovation de l’universalité des sciences. Dans le cadre qu’il s’était tracé, et que l’on mutile quand on n’étudie que le Novum organum, il avait réservé à la métaphysique une place très-visible, si ce n’est pour ceux qui ferment les yeux. La plupart des grands critiques ou admirateurs de Bacon n’ont eu garde d’oublier ou de méconnaître cet aspect important de son œuvre. D’Alembert l’avait vu ; mais il en était comme embarrassé, et il expliquait d’une façon singulière cette persistance, bizarre selon lui, de l’élément métaphysique dans l’esprit d’un tel adversaire du péripatétisme. « Ce grand homme, — a-t-il écrit, — après avoir brisé tant de fers, était encore retenu par quelques chaînes qu’il ne pouvait ou n’osait rompre[3]. » La chose, en effet, est surprenante, mais elle est. Lorsque M. V. Cousin disait que « Bacon n’a pas de rang métaphysique[4], » cela signifiait non que Bacon n’avait jamais pénétré dans cette région de la pensée, mais bien

  1. Francis Bacon und seine Nachfolger ; Entvicklungsgeschichte der Erfahrungs-philosophie, — Von Kuno Fischer. 2e édition, Leipzig, F. A. Brockhaus. 1865, — p. 218. « {{lalng|de|Es ist genug, die Menschheit in die Bahn fortschreilender Bildung zu lenken, sie mit den Hülfsmitteln auszurüfen, um ihr Wissen und damit ihre Herrschaft zu erweitern ; auf dieser Bahn, gewährt jeder Punkt einen Triumph… »
  2. Ibid., p. 212. « Nimmt man ihn als Naturforscher, der er nicht war, so ist er mit keinem der grossen Naturforscher seines Zeitalters zu vergleichen, nimmt man ihn als Philosophen, der die Geistesrichtung, in welche die Naturwissenschaft fallt, allgemein gemacht… so vergleicht sich keiner mit ihm. »
  3. Discours préliminaire de l’Encyclopédie, 2e partie.
  4. Philosophie écossaise, 1857, p. 307.