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ses propres droits. » Cela change la chose du tout en tout. Le cas de guerre, d’ailleurs, n’a pour but ni la punition, ni le meurtre ; son vrai but est de faire triompher le droit ; par conséquent, le cas de guerre n’entre en rien dans la sphère de la punition. Ainsi l’État a le droit de vie et de mort selon Hegel, mais seulement sur les honnêtes citoyens qu’il expose aux projectiles ennemis, non sur les assassins qu’il sait en révolte ouverte contre la société ; et M. Véra calomnie le maître en lui prêtant cette dernière opinion.

Nous pourrions peut-être ici prendre la défense de M. Véra et demander pour lui-même les circonstances atténuantes ; rappeler, par exemple, qu’à côté de ces grandes hécatombes de vies pures et utiles que fait une seule bataille, la suppression d’un malfaiteur souillé perd beaucoup de l’importance que certaines imaginations lui accordent ; chercher si la notion du droit, si l’existence de l’État ne sont pas aussi directement Tune contredite, l’autre menacée par la violence à l'intérieur que par la guerre, examiner enfin si l’ingénieux argument de M. d’Ercole ne s’appliquerait pas tout aussi bien à l’un et à l’autre cas, car enfin, si c’est l’État qui s’expose lui-même dans la personne de ses citoyens pour la défense du droit, pourquoi ne se punirait-il pas lui-même toujours dans la personne de ses citoyens pour restituer la loi morale outragée ?… mais M. d’Ercole nous rappellerait avec raison qu’il s’agit moins ici de rencontrer la vérité que de rester d’accord avec la philosophie hégélienne, qui est le dernier mot de la pensée philosophique. Il serait en effet d’un déplorable exemple que M. Véra, le traducteur de Hegel, ou comprît mal ou osât démentir sur un point de cette importance l’immortelle doctrine. Ouvrons, aidés des indications de M. d’Ercole, les ouvrages mêmes du. maître, et recueillons de sa bouche un arrêt en dernier ressort.

Ici une déception nous attend. Hegel a bien traité en général la question du droit de punir, mais il n’a rien dit de la peine de mort en particulier, si ce n’est ce que nous avons vu plus haut. On ne trouve rien de plus précis à ce sujet, du moins dans le texte. Mais qu’importe ? à défaut de la parole du maître nous avons sa pensée ; Ed. Gans nous l’a conservée dans une note, écrite après la mort de Hegel, il est vrai, mais que M. d’Ercole accepte comme parfaitement autorisée. « Gans dans cette note exprime la pensée de Hegel, nous dit-il, et même probablement ses propres paroles. » Qu’y lisons-nous ? « Mais si dans la rétribution (dans le châtiment) l’égalité spécifique n’est pas admissible, il en est tout autrement s’il s’agit de l’homicide qui entraîne nécessairement la peine capitale. En effet, comme la vie est toute l’extension de l’existence, la peine ne peut consister en une valeur, parce qu’il n’y a pas pour la vie un équivalent et qu’on ne peut qu’ôter la vie à qui l’ôte à un autre homme. » Et M. d’Ercole ajoute : « Tel est l’argument par lequel Hegel soutient la rationalité de la peine capitale. » Il reconnaît d’ailleurs que la note dérive d’un paragraphe du texte (par. 96) qu’il cite en entier : « Comme ce qui peut être offensé est seulement la volonté subsistante (c’est-à-dire la volonté individualisée et manifestée dans un être rationnel, le droit pur étant