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tout en restant fidèle aux principes et à la méthode de la Critique de la raison pure, de réagir contre les exagérations de l’idéalisme et de corriger les doctrines de Kant relativement à la chose en soi. Il reproche avec raison à Kant de faire reposer l’existence de la Chose en soi sur une conclusion tirée du principe de causalité qui cependant, d’après Kant lui-même, ne gouverne que les phénomènes. C’est cette contradiction qui a déterminé Fichte à nier toute réalité en dehors du moi ; car une existence déduite du principe de causalité ne peut être, selon lui, un produit de la pensée.

Gœring cherche dans une nouvelle théorie de l’espace le fondement d’une réalité transcendante (il appelle transcendant ce que Kant appelle transcendantal, et réciproquement). Il soutient, que la doctrine de l’espace rentre dans une Critique des sens et non dans la Critique de la raison. Le point original de son système consiste à distinguer deux espèces d’espace ou plutôt deux intuitions de l'espace. Il y a selon lui une intuition passive de l'espace et une intuition active de l’espace ; d’un côté un espace passif et transcendantal, donné dans la connaissance sensible ; de l’autre côté un espace actif et transcendant, donné dans la conscience de notre activité, — Il définit l’espace passif, la propriété d’être affecté par les choses, et l’espace actif, la propriété d’affecter les choses. Il prétend que dans la conscience d’affecter les choses, l’existence des choses nous est immédiatement révélée par un procédé spécial ; cette existence ne serait donc pas conclue, comme le prétend Kant, nous la saisissons dans une intuition.

Cette doctrine rappelle vaguement celle du philosophe anglais Bain, d’après lequel la conscience de l’activité serait une des sources de notre croyance à l’existence d’un monde extérieur. Mais la forme kantienne sous laquelle Gœring développe ses idées est bien différente. Une objection se présente tout d’abord contre sa théorie : Il n’y a pas plus de raison pour admettre l’intuition immédiate des choses dans la conscience de l’espace actif que celle de l’espace passif. « Être affecté par les choses » implique l’existence des « choses » au même titre qu’ « affecter les choses ». Des deux côtés « les choses » sont également un terme de deux procédés. Il faut admettre que tous deux impliquent leur existence, ou qu’aucun des deux ne l’implique. Si l’on admet, contrairement à une vue de notre auteur, que tous deux l’impliquent, on retombe dans le point de vue, tant de fois réfuté, de l’école écossaise qui prétendait que tout fait de conscience implique la distinction du moi et du non-moi. Si au contraire on soutient, et c’est notre opinion, que ni dans la perception ni dans l’action ne se trouve conformée la conscience d’une existence indépendante de nous, il n’y a plus moyen, en suivant la route ouverte par Gœring, de sortir de cet idéalisme pur qui est, selon lui, un fond de la doctrine de Kant.

Nous croyons, pour notre part, que l’existence des choses en soi, ou plutôt l’existence de choses dont nous n’avons pas actuellement conscience résulte, non d’une distinction entre deux formes de l’in-