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de tous les phénomènes par les seules lois mécaniques du mouvement des atomes, mais ce mouvement, au moins quant à l’impulsion primordiale, il l’attribue, comme Newton, à Dieu, qui s’est même réservé la faculté d’intervenir par des miracles. Il admettait que les corpuscules matériels étaient impénétrables, mais il croyait à l’existence du vide, et il soutint même à ce sujet une polémique assez acerbe avec Hobbes, lequel estimait (ce que nous avons dit de sa théorie sur l’impossibilité d’une action à distance explique pourquoi) que là même où l’espace est vide d’air, il existe encore une sorte d’air plus raréfié. Les attributs de tous les corpuscules matériels sont, suivant Boyle, la forme, la grandeur et le mouvement, et, dès qu’ils se rencontrent, l’ordre et la situation dans l’espace. Les impressions différentes dont les corps affectent nos sens répondent, comme chez Démocrite, à la diversité des éléments. Boyle refuse partout d’entrer plus avant dans la psychologie. D’ailleurs, il compare volontiers les « corps des êtres vivants » à des machines curieusement travaillées, curiosas et elaboratas machinas, et, avec tous les atomistes de l’antiquité, il ne voit dans la naissance et la fin du monde inorganique et organique que l’agrégation et la désagrégation des corpuscules de la matière. Comme Épicure aussi, mais avec une grande supériorité scientifique, il s’en tient dans ses explications multiples des phénomènes à ce qui est possible ; cela lui suffit pour atteindre son but le plus prochain : bannir de la science les qualités occultes et les formes substantielles, et montrer dans le monde entier, aussi loin que s’étend notre expérience, l’enchaînement naturel des causes et des effets.

Moins variée, mais à coup sûr plus profonde a été l’action de Newton sur la conception du système mécanique de l’univers. Quand on parle aujourd’hui de l’attraction, on entend généralement je ne sais quelle « force essentielle de la matière » que l’on se représente entre ciel et terre, dans une sorte de nuage mystique, occupée à attirer les molécules et à les faire agir les unes sur les autres, non sous forme d’ébranlements propagés à l’infini et de communication immédiate du mouvement, mais à distance. Ce serait faire grand tort à Newton (si cela était donné à quelqu’un) que de lui attribuer une pareille imagination. Ennemi des systèmes, fidèle à l’esprit scientifique que nous venons d’indiquer chez lui comme chez Boyle, Newton a laissé complètement de côté la cause matérielle de l’attraction pour s’en tenir à ce qu’il pouvait démontrer : les rapports mathématiques d’un fait universel, d’une loi générale en vertu de laquelle les corps se comportent comme s’ils s’attiraient en raison directe de la masse et en raison inverse des carrés des distances. C’était au moins la troisième fois qu’on