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Jean de la Rochelle. M. Luguet a donc eu raison de faire précéder son travail d’un récit abrégé de la vie de ce docteur. Nous aurions désiré plus de détails, mais les documents sont fort rares et les témoignages peu nombreux.

Né sous le règne de Jean-Sans-Terre, il fut le disciple d’Alexandre de Haies, auquel il succéda. Il avait la direction de l’enseignement des Franciscains, et lui-même fut membre de cet ordre. Après avoir professé quelque temps avec succès, il céda sa chaire à saint Bonaventure, qui avait suivi ses leçons. Quoique beaucoup moins illustre, il se trouva ainsi placé entre ces deux grands scolastiques. Frère mineur, docteur en Sorbonne, chargé de représenter son ordre dans l’assemblée convoquée par Guillaume, évêque de Paris, il fut aussi prédicateur en renom et fort suivi. Ses sermons ne sont pas la partie la moins considérable de son œuvre. Les passages que cite M. Luguet accusent une singulière hardiesse et révèlent un esprit indépendant et austère ; il s’élève avec véhémence contre les abus et les mœurs de son temps. Sa verve de tribun apostolique n’épargne aucune classe ; il attaque tour à tour la noblesse, les chevaliers, les belles dames, les prélats eux-mêmes, les moines et les prêtres auxquels il reproche leur vie mondaine et déréglée. Aussi ne fut-il promu à aucune dignité ecclésiastique. On est même étonné qu’il n’ait pas autrement porté la peine de l’âpreté de son langage. Il mourut simple moine en 1271.

Outre ses sermons et d’autres écrits plus ou moins théologiques, il a laissé des traités sur la morale, une Somme des vertus, une Somme des vices, mais son titre principal est le Traité de l’âme et de ses facultés, qui fait l’objet de ce travail.

M. Luguet a divisé son livre en deux parties. La première est une simple analyse ou plutôt un résumé du Traité de l’âme. Il y suit pas à pas son auteur dans toutes ses divisions et subdivisions. Cette méthode, que l’on pourrait accuser de sécheresse, a été préférée par ce motif, que l’original restant inédit, elle était plus utile pour le faire connaître. La deuxième, consacrée à l’appréciation, offre une critique étendue et une discussion approfondie. M. Luguet reprend toutes les idées émises par son auteur, les soumet à un examen particulier, les discute, les apprécie. Il les confronte aux résultats correspondants des travaux plus modernes, surtout à ceux de la philosophie contemporaine. Il est curieux en effet de voir comment toutes ces questions, qui offrent aujourd’hui un si vif intérêt, étaient entendues au xiiie siècle, comment elles étaient débattues et traitées par les scolastiques avec une tout autre méthode. Ce parallèle ne pouvait manquer d’offrir un véritable intérêt. Peut-être M. Luguet pousse-t-il un peu loin ses rapprochements. Ne voit-il pas quelquefois un peu trop des analogies ou des ressemblances ? Préoccupé de les faire ressortir, il n’a pas marqué suffisamment les différences. C’était l’écueil de son travail et de son sujet. L’admiration qu’il professe pour ces vieux docteurs, pourra paraître