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leur auteur une sagacité remarquable. Mais M. Delbœuf a-t-il raison d’identifier comme il le fait toute sensation de contraction musculaire avec l’effort ? La sensation de mouvement musculaire est, selon nous, une simple sensation comme celle de la vue, de l’ouïe, du toucher, etc. ; tandis que le sentiment de l’effort est, comme celui de la fatigue, une espèce de peine, tantôt accompagnant et tantôt n’accompagnant pas la sensation. La contraction musculaire ne s’accompagne d’effort, que dans le cas où elle rencontre une résistance assez considérable pour exiger une dépense de force supérieure à celle que fournit la réparation continuelle des organes ou une excitation reçue du dehors. Quand nous ne faisons que transformer ou communiquer une somme de force égale à celle que nous recevons, nous pouvons encore avoir conscience de mouvements musculaires, mais sans effort. En ce moment j’ai bien conscience d’écrire, même lorsque je ferme les yeux ; mais je ne fais aucun effort.

C’est pour avoir adopté trop facilement les doctrines inexactes de Maine de Biran que M. Delbœuf tombe dans des confusions de ce genre. C’est aussi d’après lui qu’il fait naître le sentiment de l’effort (ce qui, dans son langage, est la sensation musculaire) à la suite seulement des résistances qui s’opposent à un mouvement voulu, comme si nous n’avions pas également conscience des efforts causés par des résistances à nos mouvements involontaires ou instinctifs. Est-ce que la fatigue ne vient pas après un travail machinal aussi bien qu’après un travail volontaire ?

M. Delbœuf, toujours d’après Maine de Biran, définit la conscience : le sentiment de l’effort. Maine de Biran ne veut employer le mot conscience que pour désigner la science réfléchie du moi, que nous ne trouverions, selon lui, que dans les phénomènes de motilité volontaire ; il ne considère pas les sensations ou les phénomènes de pure affectivité comme des faits de conscience, alors même que nous les sentons. Ce n’est pas là évidemment le langage ordinaire et le plus grand nombre des philosophes admettent qu’on a conscience d’une sensation de couleur, d’une odeur, d’un son, d’une douleur, d’un plaisir. Nous voulons bien cependant accorder à chacun le droit de prendre un mot dans un sens qui lui convient particulièrement, à la seule condition d’avertir par une définition ; aussi ferons-nous simplement remarquer à M. Delbœuf que du moment où il ne prend pas la conscience dans le sens de tout le monde et pour désigner indifféremment tout phénomène subjectif, les pages où il traite des rapports de la conscience avec l’inconscience ne sont pas sans quelque ambiguïté ; car ce n’est pas dans le sens de Maine de Biran que la science et la philosophie contemporaines opposent la conscience