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cipe intuitif qui n’en expliquerait que la forme et non la matière tout entière, que les ressemblances et non les différences. Le jeu de l’association suffit à rendre compte de tout. Connaissons-en d’abord le mécanisme, et voyons ensuite comment il fonctionne pour produire le sentiment éthique.

II

Deux lois règlent nos opérations mentales d*association.

Premièrement : Les sensations et les idées qui se sont trouvées souvent en conjonction, surtout s’il en est de vives et d’intéressantes, tendent à former des groupes ou des composés dont les parties séparées ne sont plus matière d’aperception distincte ; en sorte qu’à moins de conserver un souvenir précis d’une époque de la vie où ce composé nous était inconnu, on est enclin à n’y voir qu’une manifestation simple, primitive et spontanée de l’esprit.

Deuxièmement, les sensations ou idées originellement indifférentes, quand nous savons depuis longtemps qu’elles sont les causes, les avant-coureurs, ou l’accompagnement du plaisir ou bien de la peine, finissent par devenir agréables ou pénibles par elles-mêmes : une chose qui n’était auparavant que l’annonce du plaisir ou de la peine, devient très-souvent plus attrayante ou plus effrayante que la fin originelle.

Tout acte, ou tout état de choses, qui se trouve profondément imprimé sur notre esprit comme la cause productrice d’une série indéfinie de plaisirs ou de peines, sera bien plus estimé ou bien plus redouté que les plaisirs ou les peines qui en sont la conséquence.

Comment le sentiment éthique naît-il chez l’enfant ? Faible et impuissant par lui-même, l’enfant a besoin de l’aide de tous ceux qui l’entourent habituellement. Il ne tarde pas à sentir qu’il lui importe de gagner leur bienveillance, et qu’il n’a pour y parvenir qu’à leur témoigner ses bonnes dispositions à leur égard ; surtout quand au sortir de la famille, où il était environné de tendresse et de sympathie, il rencontre des personnes en qui l’autorité ne s’inspire plus des sentiments d’une bienveillance gratuite. Il voit que son obéissance lui gagne la bienveillance, ou du moins le protège contre la malveillance d’autrui. Une association s’établit dans son esprit entre ces deux termes, d’une part l’obéissance, de l’autre la bienveillance et la protection de ceux qui ont la puissance. Il ne les sépare plus ; il conçoit que la bienveillance est le prix de l’obéissance, et qu’une fois qu’il a obéi, il peut attendre certains effets de son acte ; que