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je l’ai déjà suggéré, aux phénomènes les plus complexes et par conséquent les plus variables de l’esprit humain, c’est-à-dire aux phénomènes qui impliquent les influences les plus subtiles et les plus compliquées du contact social, et qui présentent de grandes et nombreuses fluctuations correspondant aux phases nombreuses que l’on peut remarquer dans le développement moral et intellectuel d’une société.

Les rapports multiples de l’art avec la science de l’esprit sembleraient être suffisamment évidents. Il n’est pas nécessaire d’avoir une connaissance approfondie de la psychologie pour reconnaître que toute critique raisonnée et allant au fond des questions touche aux confins mêmes de cette science. On pourrait presque dire que tout critique profond est un psychologue, sinon conscient, du moins inconscient ; Lessing en est la preuve la plus évidente. Qu’il s’agisse de décider si la poésie peut représenter les objets coexistants du monde visible ou s’il est permis de représenter la douleur sous une forme immédiate objective, il touche toujours à des principes qui sont des axiomata média dans la science psychologique. Un critique en possession de principes qu’il comprend, vise plus ou moins distinctement à rattacher la justesse de la direction suivie par l’art à de certaines conditions fixes de la sensibilité humaine.

N’est-il pas remarquable alors que ceux qui ont écrit sur la théorie de l’art, aient fait si peu pour fonder leurs systèmes sur une base psychologique solide ? En Angleterre et en France les rapports entre l’art et la psychologie ont sans doute été clairement perçus par plus d’un écrivain, mais ces auteurs ne se sont généralement occupés que de certains côtés spéciaux de la beauté ou de l’art. D’un autre côté, en Allemagne où l’élaboration des systèmes esthétiques est devenue par tradition une partie de l’enseignement philosophique, les écrivains ont montré une habileté singulière à ne pas voir les racines psychologiques de l’art. La plupart d’entre eux semblent s’être plongés si profondément dans la recherche d’une formule transcendantale pour la beauté et le processus créateur de l’art, qu’ils ont perdu de vue ces deux considérations qui sautent aux yeux : la première, c’est que la beauté se recommandant seulement par un effet particulier sur notre esprit, nous pouvons mieux en étudier la nature par l’examen de cet effet ; la seconde, c’est que la création artistique étant un processus mental, elle peut seulement être comprise à la lumière des conditions universelles de l’activité mentale. Même les disciples de Herbart, qui placent la psychologie en première ligne et qui ont reconnu le plus clairement