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cette dénomination générique. Les uns, rédigés par les grands sages et interprétés par les savants, tels que les lois de Manu, servent à atteindre un but qu’on a en vue (le passage dans des mondes meilleurs par la transmigration, par exemple) et, par conséquent, sont utiles (sâvakâça). D’autres, qui ont été composés à la suite de ceux-là, comme les sûtras de Kapila relatifs au système Sâmkhya, et qui admettent comme cause du monde la nature inconsciente et maîtresse d’elle-même (acetanam pradhânam svatantram jagatah karânam), ne servent à l’accomplissement d’aucune pratique ayant le bien de l’homme pour conséquence et ne sont d’aucun usage (anavakâca).

Çankara établit encore (Com. sur les Vedânta-Sûtras 2. 4. 11) qu’on ne doit pas argumenter à l’aide du raisonnement seul sur une question qu’on peut résoudre avec les livres autorisés (ou la révélation) car, les conceptions étant libres, les raisonnements qui ne reposent pas sur ces livres et dépendant seulement des conceptions de l’homme n’ont pas de base fixe[1].

Le Vedânta-Sâra, postérieur de beaucoup à Çankara et ayant tous les caractères d’un manuel, a resserré le système vedântique dans ses plus étroites limites et lui a donné la plus grande consistance logique dont il fût susceptible. Aussi l’auteur va-t-il droit au but en matière d’autorité ; il n’en connaît d’autres que la çruti, représentée par les Upanishads et les Vedânta-Sûtras qui en dépendent[2].

Tout ce qui suit est en parfaite harmonie avec ce principe par lequel l’ouvrage débute. Le néophyte vedântin doit, pour pouvoir être initié à la doctrine, se trouver dans certaines dispositions d’esprit qui sont minutieusement décrites et prescrites et qui impliquent l’adhésion préalable aux points principaux de la métaphysique vedântique. Du reste, une de ces dispositions est la foi (çraddhâ), c’est-à-dire la confiance dans les préceptes de son maître spirituel et ceux du Vedânta[3].

Le catéchumène conserve bien une certaine activité intellectuelle dont les modes sont l’audition (çravana), la réflexion (manana), la contemplation (nididhyâsana), et la méditation (samâdhi) ; mais cette activité est circonscrite dans des limites si étroites et si bien définies qu’elle exclut, à vrai dire, toute liberté.

Ainsi l’audition de la doctrine enseignée par le précepteur à son disciple est soumise à des conditions scolastiques qui ne permettent

  1. Nâgamagame rthe kevalena tarkena pratyavashthâtavyam yasmân nirâgamàh purushotprekshâmâtranibandhanâs tarkâ apratishthitâh sambhavanty utprekshâyâ nirankuçatvât.
  2. Vedânto nâma upanishatpramânam tadupakàrîni çârîrakâdîni ca.
  3. Guruvedântavâkyeshu viçvâsah çraddhâ.