Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
revue philosophique

un soin jaloux la direction du vedântisme ; l’école était constituée et les documents auxquels nous allons passer en sont les œuvres.


III. Le Vedântisme systématisé.

Malgré le précepte de la Katha-Upanishad cité plus haut, en vertu duquel la science de l’âme suprême ne doit pas s’acquérir par le raisonnement, le moment vint où les vedântins jugèrent nécessaire de controverser contre les écoles rivales et de raisonner tous les points de la doctrine pour établir, contrairement à celles-ci qui avaient la même prétention, qu’elle découlait à titre exclusif des livres sacrés. C’est une des principales raisons, sans doute, qui donna lieu à la rédaction des Vedânta-Sûtras. Cet ouvrage forme une suite de déductions reposant implicitement ou explicitement sur les différentes sortes d’autorités et de preuves dont nous avons vu l’emploi dans les plus anciennes Upanishads, mais rangées désormais sous les quatre catégories scolastiques suivantes : la çruti ou la révélation comprenant tous les livres védiques, c’est-à-dire les hymnes, les Brâhmanas et les Upanishads ; la smriti ou la tradition autorisée, se composant surtout des livres de lois, comme celui de Manu ; le pratyakshà ou la perception et l’anumana ou la déduction. Mais nous devrons avoir recours aux commentaires de Çankara pour savoir quels sont, au point de vue du vedântisme, les rapports mutuels et la hiérarchie de ces différents moyens d’acquérir la certitude.

L’analyse avait été poussée assez loin bien avant l’époque du célèbre théologien pour qu’on sût que le Vedânta, comme toutes les croyances dogmatiques en général, ne pouvait reposer que sur la seule autorité de la tradition d’origine humaine ou divine, ou sur la çruti et la smriti réunies sous la désignation commune d’âgama, C’est ce que Çankara établit de la manière suivante dans la préface de la Brihad-Aranyaka-Upanishad}.

« Cette science,[1] dit-il, n’est pas du domaine de la perception ; autrement elle n’aurait pas de contradicteurs. En effet, si la réalité de l’âme tombait sous les sens, les matérialistes et les buddhistes ne pourraient pas dire « il n’y a pas d’âme. » On ne saurait dire, par

    rena prokta esha suvijñeyo bahudhâ cintyamânah, ananyaprokte gatir atra nâsti. Naisha tarkena matir âpaneyâ (sic) proktânyenaiva sujnànâya.

  1. Celle de l’existence de l’âme indépendamment du corps et par suite celle du Vedânta qui repose en partie sur ce principe.