Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
ch. bénard. — l’esthétique de max schasler

ses meilleurs résultats. De là tous les écarts de cette méthode qu’on a pu signaler dans le maître et dans les disciples. M. Schasler insiste longuement et avec force sur tous ses inconvénients ; sa critique est très-sévère, elle fait très—bien ressortir les défauts de cette dialectique quand elle est sans contre-poids et abandonnée à elle-même : la subtilité, l’arbitraire, l’obscurité, le vide des formules vagues et abstraites. Il va jusqu’à la traiter de « sophistique », à qualifier de tours de passe-passe et d’escamotage (Spieltachereï) son emploi chez ceux qui savent la manier le plus habilement. Il ne s’aperçoit pas que plus d’une de ces critiques retomberont sur lui, qu’il accumule les pièces d’un procès qui pourra lui être à son tour en partie intenté. Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’être en ce moment de son avis. Nous ne ferons qu’une seule remarque sur le point principal d’attaque qu’il a choisi et sur la modification importante qu’il introduit sous ce rapport dans le système.

Il nous semble que placer dans le langage la première source de nos erreurs, c’est ne pas remonter assez haut et s’arrêter en chemin. Ce qui rend le langage humain imparfait, c’est que l’esprit humain lui-même est imparfait. C’est là qu’il faut toujours en revenir. L’entendement humain est un entendement fini, qui sans doute participe de l’infini, sans quoi rien ne serait vrai et la science humaine n’ayant rien d’absolu serait impossible ; mais c’est une intelligence finie qui mêle ses imperfections aux objets qu’elle saisit et à ses propres conceptions. L’aphorisme de Bacon reste vrai : Est intellectus humanus instar speculi inœqualis qui suam naturam naturæ rerum immiscet, eamque distorquet et inficit. (Nov. org. I. 41.) Mais que l’imperfection vienne du langage ou de l’esprit, elle n’est pas moins réelle. Elle introduit dans la connaissance le côté relatif, variable, subjectif, qui partout subsiste à côté de l’absolu et s’y mêle à la vérité. C’est là une concession énorme. Elle contraint sinon de changer absolument la méthode, de la modifier. Cela l’empêche, en tout cas, de produire les résultats merveilleux qu’on en attend. La dialectique n’est plus ce qu’elle était, elle renonce à ses hautes prétentions. La science cherche et cherchera toujours à retrouver la vérité des choses ; cet idéal d’une conformité réelle, elle le poursuivra sans cesse. Mais la dialectique ne la garantit plus, elle-même a besoin d’un correctif qui la garantisse à son tour et l’empêche de s’égarer. C’est une approximation. Le but est un incommensurable que l’homme ne pourra jamais atteindre. Ce point, disons-nous, est capital. C’est une grave déviation de la doctrine du maître chez un hégélien. Elle fait à l’auteur une position particulière.