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penjon. — la métaphysique de j. ferrier

eu occasion de voir combien cette théorie est contraire aux principes essentiels de la raison.

« Nous ne pouvons ignorer ni l’élément universel en lui-même, ni en lui-même l’élément particulier de la connaissance. » Cette proposition correspond à la VIe de l’épistémologie. Il est aisé de voir, par suite, en quoi la proposition contraire est contradictoire.

« Nous ne pouvons ignorer le moi en lui-même ; en d’autres termes, il ne peut y avoir aucune ignorance de l’esprit dans un état de pure indétermination, ou sans quelque chose ou quelque pensée présente. »

Enfin, « l’objet de toute ignorance, quel qu’il puisse être, est toujours quelque chose de plus que ce qu’il paraît être ordinairement. Il est toujours et doit toujours être, non quelque chose de particulier seulement, mais la synthèse du particulier et de l’universel : il doit toujours se composer d’un élément subjectif et d’un élément objectif ; en d’autres termes, l’objet de toute ignorance est, de toute nécessité, quelque objet plus quelque sujet. » On a fait le plus souvent de l’ignorance un thème de déclamations morales ; il fallait l’étudier sérieusement. En déterminant exactement l’objet de l’ignorance, cette proposition ne nous empêche pas de croire que nous ignorons beaucoup de choses. Nous prétendons seulement marquer de quelle nature est notre ignorance, comme nous avons montré en quoi consiste la connaissance. Nous limitons ainsi notre ignorance dans une certaine direction ; mais nous confessons humblement que, dans un autre sens, elle peut s’étendre à l’infini. Il est absurde de soutenir, comme on le ferait en adoptant les propositions condamnées, que nous ignorons ce qu’il nous est impossible de connaître sans contradiction ; mais il est certain, d’autre part, que le nombre des choses, qui n’impliquent pas contradiction et que nous ignorons cependant, est illimité.

En résumé, nous arrivons à cette conclusion que les philosophes se sont trompés, non pas, comme on l’admet généralement, pour avoir voulu savoir plus qu’ils ne sont capables de savoir, mais pour s’être évertués à savoir moins que ne le permettent les lois et les limites de l’intelligence ; qu’ils ont fait fausse route, non pas, comme on le croit d’ordinaire, pour avoir méconnu que notre ignorance est aussi grande qu’elle l’est réellement, mais pour avoir soutenu qu’elle n’est pas si grande qu’elle l’est — en d’autres termes, pour avoir soutenu que nous ignorons moins de choses qu’il n’est possible à une intelligence d’en ignorer.