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est la matière connaissant, la matière est la matière connue. Pour ceux-là, il vaut mieux croire que l’esprit est immatériel. La grande erreur des uns et des autres est de considérer l’esprit comme un objet particulier, matériel ou immatériel. Le vrai spiritualisme, au contraire, consiste à reconnaître, comme nous l’avons fait, le caractère qui distingue réellement, dans la connaissance, le moi de la matière.

« Le moi ou l’esprit en lui-même est nécessairement, absolument inconnaissable. En lui-même, c’est-à-dire dans un état purement indéterminé, ou abstraction faite de toute chose, et dépouillé de toute pensée, il est impossible à connaître. Il ne peut prendre conscience de lui-même que dans un état particulier, ou en union avec quelque non-moi, c’est-à-dire avec quelque élément qui lui soit opposé. » Cette nouvelle proposition, la neuvième, est, comme on le voit, la réciproque de la première ; mais celle-ci désignait la seule chose (le moi) dont la connaissance est la condition sine quâ non de toute connaissance ; elle devait donc être placée tout au commencement du système dont elle est le véritable point de départ. La neuvième nous fait seulement connaître la nature du second facteur de toute connaissance, et ne doit point, par suite, comme on pourrait le croire au premier abord, être mise au même rang que la réciproque. — Il est aussi à remarquer que cet élément qui s’oppose au moi n’est pas nécessairement matériel, et qu’il suffit que le moi se connaisse lui-même dans un état déterminé. Nous prévenons par là une objection des matérialistes qui ne manqueraient pas de dire que la connaissance du moi dépend de la connaissance de la matière.

Dans son Traité de la nature humaine (L. I, 6me partie, § 6), David Hume constate avec exactitude qu’il ne saurait avoir conscience de lui-même, ou plutôt de ce qu’il appelle lui-même, sans avoir conscience en même temps de quelque perception, de quelque état mental. Il est d’accord avec nous sur ce point ; mais il ne s’arrête pas là, et il dépasse étrangement notre neuvième proposition quand il ajoute : « Je ne puis même jamais observer autre chose que cette perception, cet état mental. » N’est-ce pas dire qu’il lui est impossible de constater que cette perception est la sienne que tout homme est absolument incapable de se connaître ? C’est peut-être l’assertion la plus audacieuse que la philosophie ait jamais hasardée : mais c’est une vérité de raison pour nous qu’une intelligence ne prend conscience d’elle-même que dans un état déterminé, quel qu’il soit d’ailleurs. Supposer le contraire, ce serait admettre qu’elle peut prendre conscience d’elle-même en dehors de tout état déterminé, en d’autres termes, se connaître sans se connaître. Ce n’est pas à dire qu’elle