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raison et n’ont aucune réalité hors de l’intelligence qui les a formées.

Ces connaissances universelles existent-elles même dans l’intelligence à laquelle on les attribue ? La question ne tarda pas à être soulevée. Ces termes généraux ne sont-ils pas de simples mots, auxquels rien ne correspond ni dans l’esprit, ni hors de lui ? Le nominalisme répond affirmativement, et cette réponse, si on la comprend bien, est parfaitement conforme à la vérité.

Le conceptualisme, il est vrai, par une sorte de compromis avec le réalisme, défend la réalité des conceptions en faisant remarquer qu’elles correspondent aux caractères communs des choses particulières, et qu’elles permettent de donner un nom aux genres que forment ces choses. Mais, d’après cette doctrine, subsiste la distinction des genres de connaissances alors qu’il faudrait ne distinguer que des éléments. Pour les conceptualistes, l’intuition des objets particuliers précède la formation des notions générales, et ils ne remarquent pas que l’esprit connaît l’universel en même temps que le particulier, le genre en même temps que les individus dont il se compose. La position même qu’ils ont prise, en adoptant la division des connaissances en deux genres différents, les empêche d’arriver jamais à la vérité. Tout au plus parviennent-ils à cette bizarre hypothèse d’un genre de connaissances, les connaissances particulières, et d’un élément de connaissance, l’universel, qui se combineraient ensemble on ne sait comment.

Le nominalisme reste donc seul maître du terrain, et cependant il est destiné à périr à son tour. Pour lui, toute existence est particulière, et toutes les connaissances sont et demeurent particulières. Nous ne pouvons concevoir le triangle en général ; quand l’esprit pense le concevoir, il se représente toujours tel ou tel triangle particulier, qui est pour lui le signe de tous les triangles actuels ou possibles ; il imagine un ou plusieurs triangles avec cette restriction mentale que toutes les variétés dont cette figure est susceptible ne sont pas épuisées par le spécimen auquel il pense. Toutes nos connaissances ne sont ainsi que des connaissances particulières.

L’erreur est flagrante. Si le conceptualisme a tort de prétendre que toute conception générale peut être par elle-même objet de pensée, le nominalisme a également tort de soutenir que le particulier par lui-même, seul, peut être connu. Nous n’avons pas ici à rechercher si le particulier existe ; mais il est certain que rien de ce que nous connaissons n’est purement particulier ; nous savons par notre sixième proposition que toute connaissance est une synthèse du particulier et du général. La connaissance particulière de cette