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POUR LA RENTRÉE DES CLASSES

À côté de cette grande et magnifique leçon, combien d’autres, plus proches de vous, le spectacle journalier de la rue ne vous a-t-il pas offertes, dès les premiers jours de la mobilisation ! Et ce sont toujours, — tendres fleurs de France qui éclosent d’elles-mêmes au souffle meurtrier de la guerre, — de belles manifestations de fraternité.

Nous savions déjà que l’armée en est peut-être la meilleure école, en particulier notre armée française. Nous en avons eu, à chaque instant, sous les yeux, la touchante confirmation. Souvenez-vous de cette première quinzaine d’août, lorsque, par la grande chaleur, les régiments défilaient dans nos rues, marchant à la frontière. Comme on avait soif ! Et toute la population de Nancy, vos mamans et vos sœurs, de donner à boire à ces pauvres soldats. Alors vous avez entendu des artilleurs à cheval ou bien assis sur leurs caissons, qui acceptaient, certes, le verre qu’on leur tendait, en ajoutant bien vite : « Gardez-en pour les camarades de l’infanterie qui viennent derrière : ils vont à pied, ils ont plus que nous besoin de vos rafraîchissements. » Fraternité d’armes, que vous retrouverez plus tard entre blessés : parfois on en apportait de nouveaux tout meurtris dans un hôpital au milieu de la nuit ; et les anciens aussitôt, oubliant leurs souffrances, cédaient leurs lits aux camarades, pour s’étendre eux-mêmes sur le plancher : « Nous avons fini notre somme, disaient-ils, nous n’avons plus autant besoin de repos. » Ils ont même fait cela, une fois, pour un blessé ennemi.

Et cette fraternité ne se fait pas sentir seulement entre troupiers : elle attache aussi et unit, par un lien naturel chez nous, les chefs eux-mêmes aux simples soldats. Vous en avez vu, n’est-ce pas ? de ces capitaines, pendant ce mème défilé, veillant à ce qu on donne à boire (pas trop. comme il convient) à toute leur compagnie, sans rien prendre eux-mêmes, sinon les derniers, et pas toujours encore. Un officier supérieur à cinq galons attendit que tout son régiment fût passé, et seulement alors, comme lui aussi mourait de soif, il demanda en souriant à une Jeune fille toute confuse s’il restait quelque chose « pour le colonel ».