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REVUE PÉDAGOGIQUE

aurait sans doute trop d’outrecuidance à lui pour une telle entreprise, et il désigne un ou deux esprits, qui pourraient essayer, et courir, dit-il, ce beau danger (p. 106).

Tel est ce testament d’un philosophe, qui pourra ne pas satisfaire bien des esprits, mais qui doit les intéresser et leur offrir à tous une riche matière à réflexion et à méditation. Et puis, que de pensées rencontrées en chemin, auxquelles on s’arrêterait volontiers pour les creuser profondément ! Nous en avons inséré le plus possible au cours de cette étude. En voici quelques-unes encore :

« Je sais que je vais mourir, je n’arrive pas à me persuader que je vais mourir. Ce n’est pas le philosophe qui proteste en moi ; le philosophe, lui, ne croit pas à la mort. C’est le vieil homme. Le vieil homme n’a pas le courage de se résigner. Il faut pourtant se résigner à l’inévitable (p. 4). »

« (Examen de conscience). Hélas ! je me suis surtout félicité de n’avoir pas fait tout le mal que j’aurais pu faire. Et je me suis demandé si nous ne valons pas plus par le mal que nous ne faisons pas, que par le bien que nous croyons accomplir. Misère de nous ! nous savons mieux ce qu’il ne nous faut pas faire, que ce qu’il nous faut faire (p. 5). »

« Ceux-là qui prétendent qu’il n’y a plus rien à dire, sont ceux qui n’ont jamais eu rien à dire. Tout est à dire encore, et tout est à faire (p. 65). »

« Souviens-toi que le ridicule n’a jamais tué que ceux qui n’avaient plus qu’à mourir (p. 87). »

« L’homme ne parvient que lentement, difficilement et très imparfaitement à découvrir les lois de la nature pour se les assujettir et les gouverner. Il ne les tourne à son usage qu’en se créant des dangers nouveaux, des misères nouvelles, en se rendant lui-même l’esclave des forces qu’il croit dominer, et qui sont toujours au moment de se soulever pour le détruire, lui et ses engins, au moindre manque de surveillance. La chaleur et l’électricité sont, pour l’industrie humaine, d’admirables agents d’utilité, prêts à se changer en fléaux, de même que nous les voyons, dans la grande nature, à la fois présider à la genèse et à l’évolution de la vie, et susciter des révolutions terribles (p. 66-67). »

« J’ai cru aussi que, peu à peu, par le développement continu de la Science et des sciences, l’humanité pourrait atteindre plus de bonheur. Et c’est une sottise. Il n’est pas vrai que la science puisse diminuer le travail humain, Les machines et les inventions, qui ne vont pas sans dangers et sans graves accidents, ne font qu’abrutir le travailleur et que ruiner sa santé. Le bonheur ne doit pas se chercher dans cette voie. Il n’est pas démontré que, si le machinisme supprimait le travail, l’homme serait plus heureux ; j’ai mème une forte tendance à croire qu’il serait plus malheureux qu’il n’est, et plus près de la brute. Et la Science, si elle réalisait les espérances que beau-