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REVUE PÉDAGOGIQUE

Cette « austère philosophie » tire une beauté sereine des circonstances mêmes où son auteur l’expose pour la dernière fois. Tous les détails contribuent à renforcer l’impression : cette chambre de malade, ce fauteuil approché péniblement par lui d’une fenêtre ouverte dès l’aube pour le lever du soleil qu’il revoit avec une « joie d’enfant » (p. 65), la vision, au moins par le souvenir, de ces longues promenades à travers champs (p. 7), tout en causant philosophie, ou bien en voiture (p. 436), sous le ciel merveilleux du midi, cet effort pour ressaisir toute une longue vie de travail, et cet espoir que, dans une autre existence, il se reposera… peut-être ? mais bien plutôt de nouveau il se lèvera pour « tracer son sillon laborieusement, courageusement » (p. 6), et avec confiance aussi, « personne n’ayant le droit de dire que le bon grain ne peut pas germer » (p. 99). Quelle admirable leçon donnée par le maître, et cela en toute simplicité, presque sans y penser ! Ce philosophe qui meurt « en remâchant des idées », et qui trouve cela si bon qu’il en oublie qu’il est malade et qu’il va mourir (p. 19 et p. 65), est un homme qui a les faiblesses de l’humanité : au moral même, car en fouillant sa vie, il y découvre bien des actes reprochables, où il s’est oublié, et somme toute, il n’ose pas décider s’il a été moins méchant que le commun des hommes {p. 6) ; au physique également, car il se résigne malaisément à mourir, essaie de se retenir sur la pente où il se sent glisser (p. 77), trompe la longueur des nuits avec des livres, tantôt les Mémoires de Georges Sand, d’une lecture reposante qui lui plaît (p. 38), tantôt Épictète et Lucrèce. Et même, autre ressemblance, non cherchée, non voulue, avec Socrate, qui charmait les ennuis de sa prison en faisant des vers, dans l’attente du supplice, Renouvier confie à son fidèle disciple que, l’hiver dernier, il s’est amusé à traduire en vers quelques passages de Lucrèce, « le chantre de la mort » (p. 30-33), (en vers blancs, d’ailleurs, ajoute-t-il modestement).

Et le vieillard songe à l’avenir, qu’il ne verra pas, et aux enfants qui doivent le préparer. Il voudrait pour eux un petit livre de morale, qui développerait tout d’abord dans les jeunes âmes le sentiment de la bonté, de la pitié. Et la pitié, telle qu’il l’entend, n’est pas un effet de sympathie physique, effet nerveux presque, trop facile à obtenir. et qui se traduirait par des larmes vaines : c’est un sentiment viril, né d’une obscure idée de la justice, et qui contribue à l’éclaircir ; c’est la souffrance à la vue d’une douleur qui paraît absurde et injuste : c’est, dit admirablement Renouvier. « la révolte de l’âme contre la méchanceté du mal » {p. 95). Lui-même a regardé bien en face le mal. qui lui a paru le grand problème de la vie, celui dont il lui faut, et coûte qué coûte, une solution : il vent qu’on fasse comme lui : le mal ne doit pas être caché ni déguisé aux enfants ; on ne doit pas « tricher avec La douleur » (p. 92 et p. 96), Trop de penseurs « n’osent pas voir la vie telle qu’elle est, courageusement » (p. 58). « On ne vont pas le mal, on ne sent pas l’injustice… » Les philosophes eux-mêmes