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BIBLIOGRAPHIE

lui donner ce nom) serait comme une masse anarchique avec des points sensibles de toutes parts, sans organisation, ni vie supérieure, La personne humaine commence avec le règne de la moralité, qui n’apparaît elle-même qu’avec la liberté. Celle-ci ne se démontre pas, répète sans se lasser notre philosophe ; il lui suffit d’avoir renversé les thèses qui la rendent impossible : elle s’établit d’elle-même sur leurs ruines. Mais cette liberté encore n’a rien d’absolu : elle peut faillir, elle a même failli ; telle est sa condition, pour qu’en revanche elle puisse aussi se relever et tendre vers le bien. Renouvier se trouve ainsi ramené par sa philosophie à l’antique croyance religieuse du mal faisant son apparition dans le monde par le fait de l’homme, par la faute de la liberté humaine. Le mal existe, en effet, et nul n’en a été plus frappé que notre philosophe ; lui qui définissait énergiquement l’objet e un coup du dehors », a reçu bien des fois ce coup avec douleur, non pas tant au physique qu’au moral. Où donc est le principe du mal ? Dans la nature même ? Alors le mal est nécessaire, il est fatal, surtout il est incurable ; et la présence de l’homme, c’est-à-dire d’un être raisonnable, dans un tel univers, qui serait la déraison même, lui paraît le comble de l’absurdité. Il faut lire à ce sujet la protestation véhémente du philosophe (p. 61-62), déclarant qu’en ce cas la vie ne vaudrait pas « les quatre fers d’un chien » (p. 60). Viendrait-il donc de Dieu, ce mal indéniable ? Le scandale n’en serait que plus grand, et plus grandes aussi la contradiction cet l’absurdité, non pas seulement au point de vue religieux, mais logiquement et philosophiquement. Reste donc que le mal vienne de l’homme ? Et Renouvier ne craint pas de reprendre cette vieille doctrine, si peu satisfaisante cependant, qui, pour absoudre Dicu, prend le mal à la charge de l’humanité. Par un acte sublime de générosité, la créature se sentant d’ailleurs de volonté chancelante, aime mieux s’avouer coupable, que d’accuser son créateur. Solution désespérée, il faut bien le dire ; mais Renouvier met la raison au défi d’en trouver une autre (p. 95-96). Et il en tire aussitôt d’admirables conséquences. Si l’homme est l’auteur du mal, il est capable de le réparer. L’œuvre de la création était bonne à l’origine : seul l’homme a pu, en partie, la défaire, parce qu’il était libre ; il pourra donc aussi la refaire, toujours parce qu’il est libre. Cette énigme du mal, la liberté en donne le mot, et le remède en est aussi dans la liberté. Renouvier bannirait volontiers des choses humaines le mot devenir : il le remplace, avec son maître Jules Lequier, par le mot faire, ou plutôt se faire (p. 64}. L’humanité ne deviendra pas meilleure par la force des choses, ni par le jeu naturel et nécessaire des forces humaines, non ; mais elle se fera meilleure, car elle le peut, si elle le veut. Et de même toute personne humaine. Le personnalisme est une doctrine de progrès, non pas de progrès fatal, qui n’est qu’une illusion et une sottise (p. 60), dit notre philosophe, mais de progrès libre, par suite intermittent, avec des reculs et des élans, selon nos mérites et selon nos œuvres.