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REVUE PÉDAGOGIQUE

s’acquiert par la fréquentation du monde, mais celle qui sort naturellement de l’accord et de la camaraderie des intelligences. Sans même aller aussi loin, ne pourrait-on pas dire que la meilleure préparation à cette politesse de l’esprit est la lecture des auteurs anciens ? Les anciens avaient voué aux idées un amour plus pur que le nôtre, car ils les aimaient pour elles, au lieu que nous les aimons pour ce qu’elles nous donnent. L’idée est pour nous un principe d’action surtout ; elle était objet de contemplation pour les anciens. Rappelez-vous certaines pages des dialogues de Platon, et la délicieuse inutilité de ces conversations où Socrate et ses disciples paraissent moins préoccupés d’affirmer leur pensée que de se la donner en spectacle, et même de jouer avec elle. Nous sommes pressés d’arriver au but, et notre poursuite des idées ressemble à une course ; celle des anciens était une promenade, et ils s’attardaient volontiers le long de la route parce qu’ils la trouvaient belle. Enfin, si notre morale est plus profonde que la morale antique, si notre justice est plus stricte et notre charité plus large, si nous comprenons mieux ce qui fait le sérieux, la gravité, et, pour tout dire, l’importance de la vie, les anciens en ont mieux senti le charme. C’est en aimant la vie qu’ils se sont rendus aimables, et ils l’aimaient parce qu’ils savaient y découvrir la beauté, et, comme disait Platon, résoudre les choses en idées. Suivons leur exemple, et si nous n’avons plus les mêmes loisirs pour nous livrer à la contemplation du beau, apprenons du moins, à leur école, la politesse de l’esprit et l’art de trouver la vie aimable.

Ajouterai-je que la philosophie complète heureusement sur ce point les études littéraires ? Un ancien a dit que, dans une république où tous les citoyens seraient amis de la science et de la spéculation philosophique, tous les citoyens seraient amis les uns des autres. Il n’entendait pas par là, sans doute, que la science met fin aux discussions et aux luttes, mais plutôt que la discussion perd de son aigreur et la lutte de sa violence quand elles se livrent entre idées pures. Car l’idée, au fond, est amie de l’idée, même de l’idée contraire, et les dissensions graves viennent toujours de ce que nous mêlons nos passions grossières et humaines aux idées, qui sont ce qu’il y a de divin en nous. L’intolérance n’est peut-être qu’une certaine inaptitude à isoler la pensée de