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REVUE PÉDAGOGIQUE

de leur propre mérite cette même opinion avantageuse, que nous voulions bien la leur donner. Une louange méritée, une parole aimable pourra produire sur ces âmes l’effet d’un rayon de soleil tombant tout à coup sur une campagne désolée ; comme lui, elle les fera reprendre à la vie, et même, plus efficace, elle transformera parfois en fruits des fleurs qui se seraient sans cela séchées. Au contraire, une allusion involontaire, un mot de blâme sorti d’une bouche autorisée, peuvent nous jeter dans ce découragement où, mécontents de nous, désespérant de l’avenir, nous croyons voir se fermer devant nous toutes les avenues de la vie. Et de même que le cristal infiniment petit, tombant dans une solution sursaturée, appelle à lui l’immense multitude des molécules éparses et fait que le liquide transparent se transforme tout d’un coup en une masse opaque et solide, ainsi, au léger bruit de ce reproche à peine tombé au milieu d’elles, accourent, de ci de là, de mille points divers et par tous les chemins qui vont au fond du cœur, les timidités en apparence vaincues, les désillusions un instant consolées, toutes ces tristesses flottantes qui n’attendaient qu’une occasion pour cristalliser en masse compacte et peser de tout leur poids sur une âme désormais inerte et découragée. Cette sensibilité un peu maladive est chose rare, heureusement ; mais quel est celui qui ne s’est pas senti, à certains moments, douloureusement atteint dans son amour propre et arrêté tout aussitôt dans l’essor qu’il aurait pu prendre ; tandis qu’à d’autres moments une harmonie délicieuse le pénètre, parce qu’un mot glissé à son oreille, s’insinuant dans l’âme et la fouillant dans ses plus secrets replis, est venu toucher cette fibre cachée qui ne peut résonner sans que toutes les puissances de l’être s’ébranlent avec elle et vibrent à l’unisson ? Ne serait-ce pas là, jeunes élèves, la politesse la plus haute, la politesse du cœur, celle que nous appelions une vertu ? C’est la charité s’exerçant dans la région des amours-propres, là où il est plus difficile parfois de connaître le mal que de le vouloir guérir. Une grande bonté naturelle en est le fond, mais cette bonté resterait peut-être inefficace si la pénétration de l’esprit ne s’y joignait, la finesse, et une connaissance approfondie du cœur humain.

Il semble donc que la politesse sous toutes ses formes, politesse