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LA POLITESSE

il pas aussi au fond de la grâce ? Je ne sais si vous avez jamais essayé d’analyser le sentiment que le spectacle d’une danse gracieuse, par exemple, fait naître dans l’âme. C’est d’abord de l’admiration pour ceux qui exécutent avec souplesse, et comme en se jouant, des mouvements variés et rapides, sans choc ni secousse, sans solution de continuité, chacune des attitudes étant indiquée dans celles qui la précèdent et annonçant celles qui vont la suivre. Mais il y a quelque chose de plus ; il entre dans notre sentiment de la grâce, en même temps qu’une sympathie pour la légèreté de l’artiste, l’idée que nous nous dépouillons nous mêmes de notre pesanteur et de notre matérialité. Enveloppés dans le rythme de sa danse, nous adoptons la subtilité de son mouvement sans prendre notre part de son effort, et nous retrouvons ainsi l’exquise sensation de ces rêves où notre corps nous semble avoir abandonné son poids, l’étendue sa résistance, et la forme sa matière. Eh bien, tous les éléments de la grâce physique, vous les retrouverez dans cette politesse qui est la grâce de l’esprit. Comme la grâce, elle éveille l’idée d’une souplesse sans bornes ; comme la grâce, elle fait courir entre les âmes une sympathie mobile et légère ; comme la grâce, enfin, elle nous transporte de ce monde réel, où la parole est liée à l’action, et l’action elle-même à l’intérêt, dans un autre, tout idéal, où paroles et mouvements s’affranchissent de leur utilité et n’ont plus d’autre objet que de plaire. Ne dirons-nous pas que cette politesse aux mille aspects divers, qui suppose certaines qualités du cœur et beaucoup de qualités de l’esprit, qui consiste, au fond, dans la complète liberté de l’intelligence, est la politesse parfaite, et que le moraliste le plus exigeant aurait mauvaise grâce à demander mieux ou davantage ?

Eh bien non, mes amis. Au-dessus de cette politesse, qui n’est qu’un talent, j’en conçois une autre, qui serait presque une vertu. Il y a des âmes timides, avides d’approbation parce qu’elles se méfient d’elles-mêmes, et qui joignent, à la vague conscience qu’elles ont de leur mérite, le désir et le besoin de l’entendre louer par d’autres. Est-ce vanité, est-ce modestie ? je ne sais ; mais tandis que le fat nous répugne avec sa prétention d’imposer aux autres la bonne opinion qu’il a de lui, nous nous sentons plutôt attirés vers ceux qui attendent anxieusement, pour avoir