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LECTURES VARIÉES

qui, afin d’être nommé sous-lieutenant, dut apprendre à écrire, et ne put jamais écrire qu’en grosses lettres à la manière des commençants.

Pour un enseignement si réduit, les meilleurs maîtres seraient les Frères des écoles chrétiennes, et, contre l’avis de ses conseillers, Napoléon les soutient : « Si on les oblige, dit-il, à s’interdire par leur vœu toute autre connaissance que la lecture, l’écriture et les éléments du calcul, c’est pour les rendre plus propres à leur destination ». « En les comprenant dans l’Université, on les rattachera à l’ordre civil et l’on préviendra le danger de leur indépendance. » Désormais « ils n’ont plus pour chef un étranger ou un inconnu ». Le supérieur général de Rome a renoncé à toute inspection sur eux ; « il est convenu qu’ils auront en France un supérieur général qui résidera à Lyon ». Celui-ci, avec tous ses religieux, tombe sous la main du gouvernement et l’autorité du grand-maître. Une telle corporation, quand on en tient la tête, est un instrument, le plus sûr, le plus exact, sur lequel on peut toujours compter, et qui jamais n’opère à côté ou au delà de sa limite tracée. Rien de plus commode pour Napoléon, qui, dans l’ordre civil, veut être un pape, qui fonde son État, comme le pape son Église, sur la vieille tradition romaine, qui, pour gouverner d’en haut, s’allie à l’autorité ecclésiastique, qui, comme l’autorité catholique, a besoin d’exécutants disciplinés, de manœuvres enrégimentés, et ne peut les trouver que dans des corps organisés et spéciaux. A chaque recteur d’académie, les inspecteurs généraux de l’Université donnent pour consigne les instructions suivantes : « Partout où il se trouve des Frères des écoles chrétiennes ils seront », pour l’enseigne ment primaire, « préférés à d’autres ».

Aussi bien, aux trois matières enseignées, il faut en joindre une quatrième, que le législateur ne mentionne pas dans sa loi, mais que Napoléon admet, que les recteurs et préfets recommandent ou autorisent, et qui presque toujours est inscrite dans le traité conclu entre la commune et l’instituteur. Celui-ci, laïque ou frère ignorantin, promet d’enseigner, outre « la lecture, l’écriture et le calcul décimal », « le catéchisme adopté pour l’Empire ». En conséquence, approches de la première communion et pendant deux ans au moins, il veille à ce que ses élèves apprennent par cœur le texte consacré, et en classe ils lui répètent ce texte tout haut, article par article ; de cette façon, son école devient une succursale de l’Église, et, par suite, comme l’Église, un instrument de règne. Car, dans le catéchisme adopté pour l’Empire, il est une phrase méditée, riche de sens et précise, où Napoléon a concentré la quintessence de sa doctrine politique et sociale, et formulé la croyance impérative qu’il assigne pour but à l’éducation. Cette phrase, les sept ou huit cent mille enfants des petites écoles la récitent à l’instituteur, avant de la réciter au curé : « Nous devons en particulier à Napoléon Ier, notre empereur, l’amour, le respect, l’obéissance, la fidélité, le service militaire, les tributs ordonnés pour la conservation et la défense de l’Empire et de son trône… Car il est celui que Dieu a suscité, dans des circonstances difficiles, pour rétablir le culte public et la religion sainte de nos pères, et pour en être le protecteur. »