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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

arabes du Sud. Leurs kanoun, appliqués aujourd’hui par des juges de paix français, interprétés, amendés, complétés par la jurisprudence de notre Cour d’Alger, comme les coutumes des peuplades barbares de l’Empire romain l’ont été par les édits des préteurs, ne créent aucune difficulté sérieuse à notre administration. Avec le temps, grâce à ce nouveau jus praetorium, leurs lois pourront se rapprocher des nôtres, ou leur céder la place. Les Kabyles sont les plus travailleurs de nos indigènes, et c’est merveille de les voir labourer sur des pentes dont la raideur ferait pâlir un agriculteur français, des pentes si inclinées que l’un des deux animaux qui tirent la charrue semble marcher sur le dos de l’autre. Ils excellent à tirer parti d’une contrée fertile, mais ardue, et trop restreinte pour la population qu’elle doit nourrir. À défaut de pâturages, ils nourrissent leurs bêtes avec le feuillage des frênes ; les frênes sont les prairies aériennes des Kabyles. Sans avoir apporté beaucoup de perfectionnements à leur agriculture, ils en ont adopté assez déjà pour ne point paraître plus routiniers que la plupart de nos paysans. Ils ont du goût pour les industries, et à l’Exposition universelle de 1889, on a pu regarder avec intérêt les armes et la bijouterie des Beni-Fraoucen, des Beni-Yenni, des Fenaïas, les sculptures sur bois des Illilten et des Illoula, les étoffes tissées chez les Bou-Chaïb et les Aït-Idjer. Les Kabyles sont entendus au commerce ; ils couvrent l’Algérie de leurs colporteurs : c’est ce qui rend si nécessaire pour eux et pour nous de répandre dans leurs tribus la connaissance de notre langue. Certains fréquentent même les expositions d’Europe et d’Amérique. Un soir, gravissant une des pentes les plus escarpées des Beni-Yenni, j’en ai rencontré un qui revenait de l’Exposition de Paris, avait été à celle de Londres et désirait. avoir des renseignements sur celle qui se prépare à Chicago. Ils sont plus économes, moins imprévoyants que l’Arabe. Malgré une certaine affectation de pauvreté sordide (il en fut de même chez le paysan français de l’ancien régime), ils ont toujours des réserves de grains et d’argent. Après l’insurrection on a tiré d’eux la somme relativement énorme de dix millions ; ils n’ont presque pas souffert de la grande famine de 1867, qui décima les tribus du Sud. Habitués à discuter dans la djemàa, à élire leurs chefs, à commenter leurs kanoun, ils ont au plus