Page:Revue pédagogique, second semestre, 1891.djvu/514

Cette page n’a pas encore été corrigée
504
REVUE PÉDAGOGIQUE

pour les Cheurfa, ce livre est à la fois un évangile et un code, les Kabyles ont conservé leurs coutumes particulières, qui n’étaient point écrites, mais conservées dans la mémoire des vieux, et qui sont différentes pour chaque tribu. On les appelle kanoun. Ce mot grec est encore un vestige de l’époque romaine ou byzantine. Les kanoun présentent, surtout pour la partie de droit criminel, une étrange analogie avec les lois des barbares qui, du ve au vie siècle, envahirent l’empire romain : non pas qu’il y ait là filiation ou emprunt, mais parce que des conditions de vie à peu près semblables ont enfanté les mêmes institutions. Chez les Kabyles, comme chez les Francs mérovingiens, la peine de l’emprisonnement n’existe pas et la peine de mort n’est appliquée que dans des cas assez rares. Les châtiments les plus ordinaires tendent non pas à supprimer le coupable, mais à l’éloigner. Ce sont le bannissement, la démolition de sa maison, le bris de ses tuiles, l’incinération de ses habits sur la place du village, la confiscation de ses biens. Ce sont aussi des amendes. Cette rareté ou cette modération des peines prouve le cas que ces « hommes libres » (Imazighen) font de leur dignité personnelle. Elle tient à ce que la plupart des crimes et délits ne sont pas considérés, ainsi qu’ils le sont chez nous ou l’étaient chez les Romains, comme étant d’ordre public, mais, ainsi qu’ils l’étaient chez les barbares de la Germanie, comme étant d’ordre privé. Un assassinat donne lieu à la thamgueret ou rekba, quelque chose comme la dette du sang chez les Germains et chez les Corses. Ce n’est pas la puissance publique qui est chargée de punir l’assassin, mais le parent le plus proche de la victime. Pour celui-ci le devoir de se venger est si strict que certains kanoun le punissent d’amende s’il s’y dérobe. En ce moment, un de nos instituteurs kabyles, jeune homme de mœurs très douces, est en prison pour avoir tué un homme : la loi indigène lui faisait une obligation de l’acte que la loi française et le jury français flétriront comme un crime. Le premier meurtre, qui devient le point de départ d’assassinats