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REVUE PÉDAGOGIQUE

noblesse religieuse. Ils font précéder leur nom de la particule Si ou Sidi, et leurs femmes portent le titre de Lalla ou Madame. Ils forment les tribus « maraboutiques ». Le plus souvent ils ont une origine arabe et leur établissement dans le pays est d’une date relativement récente. Aussi laborieux et aussi pauvres que les autres montagnards, les Cheurfa ne se mêlent point aux querelles des kbila, des taddert et des çof. Ce ne sont donc point des Kabyles.

Les Kabyles ont pour les Cheurfa un mélange de respect, parce que ce sont des saints, et de mépris, parce qu’ils s’abstiennent de faire partir la poudre. Ils n’épousent pas volontiers leurs filles, et on ne les leur donne pas volontiers. De part et d’autre, ce serait une sorte de mésalliance. Une chanson de la montagne nous le dit « Le Kabyle qui épouse une maraboute n’a, par Allah ! pas de vergogne ».

D’ailleurs les Kabyles n’ont adopté de l’islamisme que ce qui en était compatible avec leurs idées et leurs mœurs. Ils se croient aussi bons musulmans que personne ; mais ils ne lisent pas le Koran, puisqu’ils n’en savent pas la langue. Ils négligent volontiers les cinq prières quotidiennes et observent mal le jeûne du Rhamadan ; l’écho de leurs montagnes, consulté par eux pour savoir s’ils pouvaient manger, leur a répondu : « Mangez ». Quelques tribus se nourrissent même de la chaire impure du sanglier. Certains de leurs villages ont de petites mosquées : mais ils les fréquentent peu, les voient avec indifférence tomber en ruine, n’élèvent pas la voix dans nos commissions municipales pour solliciter des réparations d’entretien, les abandonnent volontiers à nos autorités académiques pour y installer des écoles. Un petit nombre seulement d’entre eux fréquentent, à titre de tolba (pluriel de taleb), les zaouïa ou collèges ecclésiastiques, pour y apprendre par cœur le Koran[1] et y étudier la législation islamique de Sidi-Khalil. Encore se font-ils chaque jour plus rares : le métier de clerc, dans la montagne, ne nourrit pas son homme.

Le principal objet de vénération pour les montagnards, ce sont leurs saints locaux, qui reposent sous les koubba, ces coupoles blanches parsemées sur les hauteurs, et qu’entoure une auréole

  1. Le plus souvent sans le comprendre : en sorte qu’il importe peu que le Koran recommande la guerre sainte contre l’infidèle ; ce n’est pas à la zaouïa qu’on l’apprend.