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L’ENSEIGNEMENT CHEZ LES INDIGÈNES MUSULMANS D’ALGÉRIE

quelles communications sûres et faciles devaient assurer ces sentiers en casse-cou.

De cette configuration du sol résulta, malgré la communauté d’idiome, le morcellement infini de la vie nationale.

La Grande-Kabylie comprend plus de cent tribus (arch) ou confédérations (kbila). Le nom des Kabyles signifie même confédérés, de même que l’ancienne Suisse était pour tout le monde le pays des « ligues ».

Chaque confédération se morcelle en villages (taddert ou toufik) au nombre d’environ quatorze cents, et ceux-ci en quartiers (kharouba). Avant la conquête française, la guerre était en permanence entre kbila et kbila, taddert et taddert, kharouba et kharouba, comme si chacune de ses fractions eût été peuplée de gens différents par l’origine et la race. Il y avait, en outre, les rivalités entre les çof ou partis, qui à la fois réunissaient des villages et des tribus entières, et armaient les uns contre les autres les hommes d’un même village et d’une même tribu. Enfin, il y avait les inimitiés, les vendettes à la Corse, qui, pour un homme tué ou une femme insultée, mettaient aux prises deux familles et deux maisons même voisines. La lutte, l’insécurité, étaient alors l’état normal de cette société les parties basses de la contrée restaient inhabitées ; les meilleures terres des plaines et des vallons n’étaient que blad-el-baroud, des « pays de la poudre », dont les partis ennemis se disputaient la propriété et qu’ils choisissaient comme lieu de rendez-vous pour y vider leurs querelles. Les villages sont donc plantés comme des nids d’aigle, sur les pitons les plus abruptes et les « bras » les plus escarpés. Presque toute la Kabylie habitée est aérienne. Sur le contour net des crêtes, se profilant dans le ciel clair, sont groupées les maisons de pierre grise ou blanche, au toit vermillon, étroitement serrées l’une contre l’autre comme pour opposer à l’ennemi une muraille continue. On dirait les figues rouges du cactus piquées sur l’extrême bord de la feuille charnue et verte.

Certains villages seulement font exception à la règle commune, s’étalant en sécurité dans les vallons. Ils sont habités par des Cheurfa (du mot chérif, descendant du Prophète). Ils ne parlent aujourd’hui que le kabyle, mais ne sont point considérés comme des Kabyles. Ceux-ci sont des paysans ; eux sont des nobles, de