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SUR L’INSTRUCTION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE

de formes et de couleurs artistement exécutés. Je le veux bien, mais il ne faut pas décorer ces gentils amusements du nom pompeux d’enseignement professionnel, et laisser croire que nous allons ainsi former des ouvriers en état de gagner leur vie.

« Mais les plus grands apprendront réellement un métier. » — Qui le leur enseignera ? L’instituteur ? Mais nos instituteurs ne sont pas doués d’aptitudes universelles. Nous les gardons trois ans dans une école normale pour leur apprendre avec beaucoup de peine un seul métier, le leur ; nous n’avons pas la prétention de leur enseigner en même temps ceux des autres. Je sais bien qu’on peut leur apprendre un peu de tout, qu’on peut même compter sur leur bon vouloir pour enseigner un peu de chaque chose ; mais je persiste à dire que n’étant pas ouvriers eux-mêmes ils seront incapables de former de vrais ouvriers, j’entends des gens capables de vivre du produit de leur métier.

« Alors on aura recours à de vrais ouvriers. » — Je crois, en effet que c’est le meilleur parti à prendre. Pour enseigner un métier, c’est aux gens du métier qu’il faut faire appel. Mais je suis obligé de déclarer de nouveau que ce n’est pas à l’école primaire que cet enseignement peut être donné.

Pour occuper seulement dix élèves à la fois à des travaux de menuiserie, ou de forge et de serrurerie, il faut un vaste atelier. En fera-t-on la dépense dans chaque école ? Un seul maître ouvrier ne peut pas diriger utilement plus de dix apprentis, et si on lui prend pour ce service la moitié de sa journée, il faudra lui assurer une rémunération convenable. Fera-t-on ce sacrifice ? Les dépenses seront considérables. Seront-elles compensées par les résultats ? Les résultats seront déplorablement médiocres, n’en doutez pas, pour les deux raisons suivantes :

1° Au lieu de choisir un petit nombre d’élèves, ayant réellement le goût du métier, comme il le faudrait, et disposés à en faire leur carrière, vous êtes condamnés par votre système à vous adresser à tous les enfants de l’école dès qu’ils sont en âge de supporter le travail que nous avons résolu de leur imposer, quelle que soit d’ailleurs la profession qu’ils préfèrent. Que voulez —vous qu’il fassent, et pour les trois quarts d’entre eux ne sera-ce pas du temps et des efforts perdus ?

2° Il faudrait, d’après les gens compétents, trois ou quatre années au moins, avec sept ou huit heures de travail manuel par jour, pour former des ouvriers en menuiserie ou en serrurerie capables de rendre quelques services et de gagner à peu près leur vie. Vous prenez nos plus grands élèves pendant leur dernière année d’études primaires, et cinq fois par semaine vous leur faites faire du travail manuel pendant la classe de l’après-midi. De quoi voulez-vous qu’ils soient capables après cela ?

Je sais bien que les plus aptes d’entre eux pourront continuer à s’exercer soit chez des patrons où ils entreront en apprentissage, soit