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LA PRESSE ET LES LIVRES

Universités de France ; voire tous monastères furent fondés en partie à ces fins. Mais aujourd’hui quel soin prenons nous d’imiter les anciens en ceste sollicitude de bien faire nourrir les enfans en l’estude des sciences et bonnes disciplines ? N’avons-nous pas bien grand’occasion de dire avec le philosophe Cratès qu’il seroit très necessaire de monter au plus éminent lieu de ce royaume et crier à haute voix : « O hommes, où vous précipitez vous, qui prenez toute la peine que pouvez pour amasser des biens et thrésors périssables, et cependant ne faites conte de vos enfans, les laissans croupir et vieillir en ignorance qui les perd de corps et d’âme à la confusion et ruine de nostre patrie ? » Après cette apostrophe, Amana entre dans une analyse très détaillée des idées de Platon sur l’éducation des enfants. Cette partie de son discours est naturellement d’un médiocre intérêt pour nous. Nous y relèverons cependant quelques observations originales où apparaît la personnalité de l’auteur. Ainsi, à propos de l’âge auquel il convient de commencer l’étude des langues, Amana fait cette remarque : « Et me semble qu’il seroit profitable à la jeunesse de commencer au susdit âge de six ans, à lui monstrer la pertection de sa langue maternelle en la bien lisant, prononçant et escrivant. Puis à huit ans lui enseigner les rudimens de la langue latine, et la lui faire poursuivre jusqu’à ce qu’elle lui soit familière, autant ou peu moins que la maternelle. » Comme on le voit, c’était aller à l’encontre de l’opinion commune qui voulait que l’étude de la langue maternelle fût tout à fait subordonnée à celle du latin. La Primaudaye n’est pas moins heureusement inspiré lorsque, se séparant de Platon, il n’admet pas que tous les emplois publics soient accessibles aux femmes, même instruites. On allègue qu’on a vu nombre de femmes dont l’âme était aussi fortement trempée et l’esprit aussi sûr que celui des hommes. « Or combien que ces raisons soyent de grande considération, si est ce pourtant que les hommes et femmes tant par la police divine qu’humaine ont leurs offices distincts. » Cela n’empêche pas La Primaudaye de revendiquer avec un grand bon sens le droit pour les femmes de recevoir une instruction solide. « Il est bien vray que je n’approuve pas l’opinion de plusieurs qui disent les femmes devoir rien scavoir que filer et coudre, approchant fort du dire de cest empereur qui vouloit que la femme n’eust plus d’esprit qu’il lui en falloit pour discerner la chemise d’avec le pourpoint de son mari. Telles opinions sont propres aux ignorans et de cervelle ombrageuse. Et ne peut estre que bien séant et profitable à la femme de sçavoir rendre raison de la fin de son estre, tant par la cognoissance des divins escripts que des préceptes de bien vivre qu’avons des anciens. Ce qui doit estre enseigné aux filles par les pères et mères : afin que par l’amour de la vertu, elles soyent retirées de toute autre amour folle, et rendues désireuses de toute honnesteté et pudicité. Ainsi, que devenues mères en bon et sainct mariage, elles sont bien souvent la principale cause de la bonne conduite des enfans. »