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SUR L’INSTRUCTION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE

millions, mettons 8 millions, en tenant compte des frais plus élevés que devront supporter les villes, où les procédés économiques que je viens d’indiquer ne seront pas applicables.

Ainsi une somme annuelle de 1,488,000 fr., en chiffres ronds 1,500,000 francs, pour les traitements, et une somme totale de 8 millions pour les constructions, telle sera la dépense qu’entraînera la réalisation de cette première partie du programme.

Combien d’années exigera l’exécution de ce premier projet ? Quelques personnes pensent qu’on pourrait aller très vite, si l’État allouait immédiatement les crédits nécessaires pour les traitements et se chargeait de la plus grosse partie des frais de construction. Mais le personnel, où et comment le recrutera-t-on ?

Il nous faut des maîtres français et des maîtres indigènes, un quart environ des premiers et trois quarts des autres. Pour les 1,240 classes il faudra donc 310 Français et 930 indigènes. Or chacun sait que l’Algérie ne fournit presque pas d’instituteurs français ; les neuf dixièmes des élèves des écoles normales d’Alger et de Constantine viennent de France, et c’est avec beaucoup de peine que nous parvenons à en recruter annuellement de 20 à 25. Ils suffisent à peine pour les besoins actuels.

Nous devrons donc appeler des maîtres de France. Nous en trouverons parmi les élèves des écoles normales restés sans emploi. Mais les prendrons-nous au hasard des demandes qu’ils nous adresseront, sans choix, et les transporterons-nous, sans préparation, du Jura ou de l’Ardèche, de la Creuse, de la Drôme, des Hautes-Pyrénées, de l’Ariège, au milieu des tribus de la Kabylie ? La plupart n’y resteraient pas trois mois, et ceux qui y resteraient n’y feraient que de mauvaise besogne.

Qu’on veuille bien ne pas oublier que nos instituteurs français doivent apprendre la langue du pays, ne fût-ce que pour entrer en relation avec les pères de famille ; les mœurs et coutumes des indigènes, pour ne pas s’exposer à les froisser, à les blesser profondément sans le vouloir ; un peu de travail manuel, d’agriculture et surtout d’horticulture et de viticulture, en un mot, de connaissances usuelles, utilisables dans la vie de chaque jour, afin de donner à leurs élèves des leçons et des conseils pratiques, que ces derniers n’ont pas, comme les enfants français, l’avantage de recevoir de leurs parents ; des notions d’hygiène et de médecine, pour se rendre utiles aux Kabyles, gagner leur reconnaissance et leur confiance, acquérir de l’influence dont ils puissent user au profit de l’école. Il faut surtout qu’ils soient initiés aux méthodes particulières d’enseignement qui conviennent avec les enfants indigènes, et que l’académie d’Alger a eu soin d’exposer en détail dans une brochure publiée l’an dernier[1],

  1. Plan d’études et programmes de l’enseignement primaire des indigènes de l’Algérie. La Revue pédagogique a rendu compte de cette publication dans son dernier numéro, p. 481.