Page:Revue pédagogique, second semestre, 1891.djvu/256

Cette page n’a pas encore été corrigée
246
REVUE PÉDAGOGIQUE

pour les salons, mais pour la maison. Peu importaient les qualités brillantes et les talents d’agrément : « Si ses parents sont riches, elle fera bien d’apprendre le shamisen et le koto (deux instruments de musique) ; mais si elle appartient à la classe moyenne, ce n’est pas nécessaire. »

Les idées japonaises sur l’éducation des femmes et leur rôle dans la famille différaient d’ailleurs assez profondément des nôtres. C’était un brocard courant que la femme était née pour obéir : jeune, à ses parents ; mariée, à son mari et à ses beaux-parents ; vieille, à son fils ; « aussi doit-elle, de bonne heure, s’habituer à ne pas agir suivant sa volonté propre ».

Le mariage est loin de l’émanciper. Au contraire, sa chaîne en devient plus lourde. Son mari, elle le connaît à peine : souvent les futurs époux ne se voyaient que deux ou trois fois avant le mariage. Et la jeune femme se sépare absolument de sa famille naturelle pour se donner toute à la famille qui la reçoit : « La femme mariée doit oublier son père et sa mère. La piété filiale consiste pour elle à aimer ses beaux-parents. » Les moralistes les plus célèbres ne s’expriment pas autrement, et neuf fois sur dix les exemples de piété filiale que donnent les traités chinois visent les beaux-parents. Pour bien marquer que la jeune femme ne rentrera plus chez ses parents, on allume du feu sur le seuil de la maison paternelle. « La femme n’a pas de maison hors celle de son mari. »

Ce mari, c’est le maître ; non seulement elle lui devra obéissance et fidélité, mais elle devra bien se garder d’être jalouse. On l’en avertit dès son enfance, et la jalousie féminine apparaît chez les peuples orientaux comme un vice capital, une des sept causes qui autorisent la répudiation. Aussi quelles recommandations ! « La femme ne doit pas se montrer jalouse, alors même que son mari aimerait une autre femme. » Les Japonais ont connu la polygamie légale, bien qu’à l’état d’exception réservée aux gens riches. Il fallait donc empêcher que la coexistence de deux épouses jetât le trouble dans la maison. Mais ce n’est pas tout, et l’un de nos auteurs, peignant une femme insupportable, note que « quand le mari rentre trop tard, elle ne manque pas de lui demander où il est allé et de manifester sa jalousie ».

Il est juste d’ajouter que, chez elle, la femme est bien la maîtresse de maison, chargée de la haute direction du ménage.