Page:Revue pédagogique, second semestre, 1891.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée
15
SUR L’INSTRUCTION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE

conditions qui s’imposeraient à la réalisation d’un pareil idéal et des moyens dont dispose ou peut disposer l’enseignement primaire pour le poursuivre, n’ont pas tardé à dissiper nos illusions.

Je demande la permission à l’auteur de lui signaler sincèrement des difficultés qui paraissent lui avoir échappé, et dont il est nécessaire pourtant de tenir compte, car il ne faut pas bouleverser et renverser ce qui existe, avant de savoir si l’on pourra édifier à la place quelque chose de mieux.

Mais avant tout est-il vrai que l’instruction telle qu’elle est donnée actuellement aux indigènes ne fasse que des quémandeurs d’emplois, des déclassés, des musulmans sans religion, qui ne prennent que nos vices, sans prendre ni nos vertus, ni nos facultés, ni nos ressources ?

Je connais depuis longtemps cette objection. C’est celle que répètent, depuis plus de trente ans, beaucoup d’Algériens qui ne connaissent pas les indigènes, ou qui, ayant entendu parler de certains faits isolés, se sont empressés d’en tirer des conclusions générales. C’est le grand argument de tous ceux, Français ou Arabes, qui ne veulent pas entendre parler d’instruction pour la population musulmane. La critique est d’ailleurs dirigée contre l’enseignement secondaire donné tout d’abord et depuis longtemps à quelques jeunes musulmans, beaucoup plus que contre l’enseignement primaire indigène qui commence à peine et que la plupart des habitants français de l’Algérie ne connaissent pas encore.

« On sait, nous dit-on souvent, combien de jeunes indigènes ont été élevés dans les lycées et dans les collèges. Que sont— ils devenus ? Les uns ne sont— ils pas des solliciteurs à perpétuité, des déclassés, tandis que les autres retombaient peu à peu dans la barbarie originelle ? » — Qu’on essaie donc enfin de se rendre compte des conditions dans lesquelles ces jeunes gens venaient au collège, de l’éducation qu’ils y recevaient, et de la situation qui leur était faite à leur sortie. Qu’on veuille bien ne pas oublier qu’ils n’étaient choisis ni parmi les plus intelligents, ni parmi ceux qu’une bonne éducation primaire aurait pu préparer à des études plus élevées. Les uns étaient des fils de chefs indigènes que l’autorité militaire envoyait d’office à Alger ou à Constantine, presque des otages ; les autres des enfants d’officiers ou d’employés indigènes, à qui on accordait la faveur d’une éducation et d’un entretien gratuits. Trop âgés pour être gardés dans les classes primaires, trop incapables de comprendre le français pour suivre les cours secondaires, ils devenaient un embarras pour l’administration et les professeurs. Séparés des autres élèves à l’étude, au réfectoire, en récréation, au dortoir, parce que les familles françaises menaçaient de retirer leurs enfants si on les eût laissés en contact avec les indigènes, ils n’étaient guère préparés à l’assimilation par le lycée lui-même, il faut bien le reconnaître.

Quelques-uns ont obtenu des emplois, ce dont il ne faut pas