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SUR L’INSTRUCTION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE

Les écoles-ouvroirs ou professionnelles. — Cinq ou six écoles de filles indigènes sont fréquentées par des élèves de six à treize, quatorze et même quinze ans. Une large part est faite aux travaux de couture. Ces écoles sont-elles réellement chose salutaire et féconde ? Elles ne le deviendront, à mon avis, qu’à une condition : c’est qu’aux exercices ordinaires se joigne l’apprentissage d’un véritable métier, qui devienne pour la femme indigène et pour les siens une ressource assurée.

Si quelques écoles indigènes de filles, dans les grandes villes et en Kabylie, car c’est par là qu’il faut débuter, établies sous les yeux des pères de famille et ne recevant que des externes, pouvaient avoir pour résultat de relever la condition de la femme musulmane, non seulement par les bienfaits d’un commencement d’éducation, mais aussi et surtout par l’initiation à quelque travail intelligent, à une industrie dont les produits pussent être recherchés par les Européens aussi bien que par les Arabes, nous aurions alors le droit de dire que notre entreprise est réellement bonne, et il est à présumer qu’elle serait jugée excellente par les indigènes comme par nous.

On a essayé d’organiser autrefois à Alger, et plus récemment à Constantine, une sorte d’école-ouvroir où se confectionnaient quelques travaux de broderie arabe. Mais il fallait trouver des acheteurs, qui étaient rares. De telles institutions ne donneront que de médiocres résultats ; elles formeront quelques ouvrières assez habiles, mais qui, une fois sorties de l’école, resteront sans direction, sans emploi, sans avenir.

A quoi sert d’augmenter, de perfectionner la production, si l’on ne fait rien pour assurer l’écoulement des produits ? Ayons donc enfin des vues nettes et précises en matière de civilisation des indigènes ; ne nous contentons pas d’avoir de bonnes intentions en laissant au hasard le soin de les faire tourner au profit de ceux à qui nous voulons du bien. Apprendre aux jeunes filles indigènes à travailler, c’est quelque chose, mais ce n’est pas assez : il faut aussi se demander comment elles tireront parti de leur travail. Les besoins du ménage, qui suffiraient à occuper une femme française, sont insignifiants pour une femme arabe ou kabyle.

À mon avis le problème se pose dans les termes suivants : Existe-t-il des industries à la portée des femmes indigènes et que la France ait intérêt à implanter en Algérie ? Il ne m’appartient pas de résoudre la question. Je crois pouvoir seulement donner une indication. La France est tributaire de la Syrie et du Maroc pour la fabrication de tapis très recherchés. Pourquoi cette industrie, qui n’existe en Algérie qu’à l’état rudimentaire, ne s’y développerait-elle pas ?

Les laines n’y font pas défaut, les teintures y sont aussi belles qu’ailleurs, la main d’œuvre n’y serait pas coûteuse si des femmes indigènes étaient dressées à ce travail. Il faudrait seulement des maîtresses ouvrières françaises pour tracer les dessins et diriger le tissage, des métiers perfectionnés pour une fabrication plus rapide et