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REVUE PÉDAGOGIQUE

bien malgré lui, des précautions, de mettre à son activité quelque mesure. Grâce aux soins d’une tendresse toujours en éveil, il semblait avoir pris le dessus ; il était revenu de vacances plein de courage et d’entrain, voyant avec confiance s’ouvrir une nouvelle campagne de travail. Un accident, un refroidissement auquel il avait à peine fait attention et qui pendant plusieurs jours sembla peu grave même aux yeux les plus anxieusement attentifs, prit soudain un caractère funeste : le mal se porta sur l’organe depuis longtemps atteint, qui ne pouvait supporter le choc. Le péril ne se manifesta que lundi soir (12 novembre), mais aussitôt il fut extrême. À partir de mercredi, notre ami perdit à peu près toute conscience, et dans la nuit du jeudi au vendredi il expira au milieu de sa famille atterrée. Ses amis les plus chers avaient à peine eu le temps d’apprendre sa maladie : ils accoururent auprès de lui pour recevoir la foudroyante nouvelle de son agonie et de sa mort. Je ne veux rien dire du deuil ineffaçable où sont plongés ceux qui vivaient dans son intimité quotidienne ; mais les regrets qu’il laisse à tous ceux qui l’ont approché seront aussi durables qu’ils sont profonds. Une exquise bonté, une douceur constante, une droiture ignorante de tout détour, une modestie qu’aucun succès ne diminuait, une simplicité de cœur et de manières qui, jointe à une telle supériorité d’esprit, donnait à son commerce un charme indicible, un dévouement absolu à la science, au devoir, à l’amitié, une obligeance toujours prête, une charité aussi active que délicate, telles étaient les principales qualités qui le faisaient chérir de ses amis anciens et nouveaux, de ses collègues et de ses élèves. L’École des hautes études le pleure comme elle a pleuré Bergaigne, qu’elle avait donné en même temps que lui à la Sorbonne. Tous deux y avaient apporté l’esprit du milieu scientifique où ils s’étaient formés ; tous deux avaient allumé dans cet illustre et antique foyer de lumière de nouveaux et brillants flambeaux ; tous deux joignaient aux mérites les plus éminents de l’intelligence les dons les plus rares du cour. En quelques mois notre École et la Faculté des lettres ont deux fois à porter un deuil commun… Si quelque chose peut alléger notre douleur, c’est de penser que Darmesteter, comme Bergaigne, a vaillamment rempli sa tâche aussi longtemps qu’il l’a pu, qu’il a fait beaucoup de bien pendant son trop court passage parmi nous, qu’il laisse après lui un monument impérissable, que, par son exemple autant que par son enseignement, il a exercé sur la jeunesse française une action salutaire et féconde, qu’il a honoré son temps et son pays.

DISCOURS DE M. TERRIER

Je viens, au nom de Madame la directrice de l’École normale de Sèvres, des maîtresses et des maîtres de cette école, de toutes ses élèves, adresser un bien triste adieu à notre cher collègue Arsène Darmesteter.