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EDGAR QUINET ET LES ROUMAINS

leurs forces jeunes à la tâche commune, le grand œuvre de la civilisation. Le choix de la France est fait ; elle l’a bien montré avec la Grèce et la Belgique (et certes, elle n’a pas à s’en repentir). Le choix des puissances du centre l’est aussi, pourrions-nous dire : c’est de perpétrer partout autour d’elles une œuvre de destruction et de mort, pour étendre sur des ruines le glacis de leur empire, ou pour y dresser comme le bastion avancé de leur tyrannie. « Plus les nations sont barbares, plus elles ont la vertu d’étouffer autour d’elles les germes nationaux ; au contraire, plus elles sont civilisées, plus elles les conservent. »

C’est en 1856 que Quinct adressait son appel au monde en faveur des Roumains. Il a été entendu par la France cette année même au Congrès de Paris, qui sanctionna l’indépendance des deux principautés danubicnnes, Moldavie et Valachie. Il devait l’être par la France encore, dix ans après, lorsqu’elle consacra l’union des deux Principautés en un royaume, le royaume de Roumanie. Mais le travail de votre indépendance, disait aux Roumains leur grand ami, n’est que commencé : il doit aboutir. Et ce sera, pour le nouveau royaume, la reconstitution de toute l’ancienne province romaine, avec les limites qu’avait assignées Trajan.

Deux monuments subsistent qui marquent les débuts de cette histoire. L’un est la colonne Trajane, élevée à Rome par Trajan lui-même, et dont les bas-reliefs racontent toute la conquête et la colonisation de la Dacie. Aucun peuple ne peut se vanter d’avoir un tel témoin de ses origines, et qui les proclame plus éloquemment ; aussi les Roumains en sont justement fiers. Des inscriptions, des médailles, des récits d’historiens s’y ajoutent. On y voit qu’une des légions victorieuses s’appelait la Secourable, la Pieuse, la Fidèle : quels beaux noms pour des soldats de la civilisation ! Et on y voit aussi que leur chef, Trajan, pour panser les blessés, déchira lui-même un jour ses propres vêtements.

L’autre monument est un pont sur le Danube, jeté par Trajan encore, et qui excita l’admiration des anciens ; pourtant Rome les avait habitués à des prodiges de ce genre. Le pont, situé près de la ville actuelle de Turnu-Severinu, menait les Romains droit au cœur de la Transylvanie, par un défilé à travers les