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REVUE PÉDAGOGIQUE

D’ailleurs au cours des siècles, Roumains de la montagne et Roumains de la plaine faisaient cause commune, dans les luttes où ils se débattaient au nord contre les Hongrois et aussi les Polonais, au sud contre les Turcs ; et les chefs de la nation, Étienne le Grand, Michel le Brave, par exemple, avaient leur capitale, non pas dans la plaine, trop à portée de l’ennemi, mais dans des endroits élevés et de difficile accès, comme Susciava, en Bukovine, ou Tirgovist, au seuil de la Transylvanie, retraites assurées après leurs expéditions et où ils défiaient toute attaque.

Outre la communauté de race et de langue, tous les Roumains, des deux côtés de la frontière d’Autriche-Hongrie, ont donc les mêmes traditions historiques ; ils ont aussi la même religion. C’est la religion orthodoxe, comme en Russie et en Grèce, ce qui explique l’indifférence, sinon l’aversion, qu’a longtemps témoignée à ces schismatiques l’Église latine de Rome. Mais, avantage inestimable, la Bible fut de bonne heure traduite du grec en roumain ; et c’est aussi dans la langue nationale que se célèbrent les offices religieux. Une portion notable du christianisme s’est donc maintenue là, avec son caractère propre qui le différencie des orthodoxies voisines. Chose unique dans la péninsule des Balkans, les Turcs ont bien pu y imposer leur suzeraineté, mais non pas le culte musulman. Aucune mosquée n’a été bâtie en territoire roumain ; aucun minaret, d’où le nom d’Allah ait été invoqué.

Comme le disait éloquemment Quinet, dès 1856, la Roumanie, la grande Roumanie, fait donc bien partie de la société européenne et même de la cité où de la patrie occidentale. Mieux que cela, elle a produit ses titres de famille, qui font d’elle une sœur de l’Italie, de la France, de l’Espagne, et si l’on considère les origines et l’antiquité de la race, presque une sœur aînée.

Et Quincet, toujours avec la même vue prophétique, met les grandes puissances de l’Europe en face de cette alternative : ou bien étouffer les petites nations qui renaissent ; ou bien les ressusciter du tombeau et les appeler à une vie de plus en plus haute et de plus en plus complète. Les traiter comme des obstacles à l’ambition d’un puissant voisin, qui veut les supprimer : ou les respecter comme des personnes morales qui apportent